Sous l’œil bienveillant de la Béguine, dans son cadre en bois doré, le Commissaire traverse la grande chambre confortablement meublée, le front soucieux, torturé par l’énigme de ce meurtre, puis, mû par une impulsion soudaine, il fait marche arrière et vient se planter devant le portrait.
Non, il n’a pas la berlue: une petite trace vermillon, comme une éclaboussure, tache le bas de la coiffe empesée.
De la peinture ? Du sang ???
Le policier s’approche, met presque le nez sur la toile, hume le tableau. Il lui semble respirer l’odeur caractéristique du sang séché.
Tiendrait-il là un début de piste ? Quoique… à bien y réfléchir, cela a quelque chose d’insensé : le meurtre a été commis en haut de l’escalier et le tableau se trouve ici, dans une pièce du bas.
Le Commissaire Ickx réfléchit, l’air mécontent :
Qui a parlé de la fameuse « intuition » du professionnel ? Le célèbre « Elémentaire, mon cher Watson » ?
Tout cela n’est que littérature : le meurtre du Béguinage est bien réel, lui, et l’enquête n’est pas près d’aboutir.
Le médecin légiste conclut à la mort par fracture des vertèbres cervicales. Le coup a été porté de haut en bas, à l’aide d’un objet lourd et contondant. L’arme du crime est toujours introuvable.
Par acquit de conscience, le policier a demandé l’analyse de la trace rouge sur le tableau.
Les jours passent, apportant leur lot d’affaires plus ou moins tristes, plus ou moins mystérieuses.
Le Béguinage draine son flot quotidien de curieux, venus voir le « lieu du crime » et le Commissaire passe aussi, chaque jour : cette affaire le turlupine, l’empêche de dormir.
Pas de mobile apparent, pas de vol, pas d’effraction.
Pourquoi a-t-on tué le gardien de ce lieu paisible et sans histoires ?
Un matin, le Commissaire reçoit le rapport du Laboratoire. Ahuri, il découvre les résultats de l’analyse du tableau: il s’agit bel et bien de sang et, coup de tonnerre, du sang de la victime !!!
Le policier convoque ses adjoints, les met rapidement au courant : l’enquête apparaît sous un jour différent, plus mystérieuse que jamais… On pourrait parler maintenant du « Mystère du tableau de la Béguine… »
La journée s’écoule à repasser tout le Béguinage au peigne fin. Tout le monde est sur les dents.
HĂ©las ! on ne trouve aucun nouvel indice.
C’est à désespérer !
Devant le tableau incriminé, Le Commissaire invoque St Guidon et tous les Saints du coin ! Il marche jusqu’au lit, tourne vers la fenêtre, fait les cent pas, revient près du tableau : on dirait un lion en cage !
Dans son cadre, la pieuse Dame observe tout ce remue-ménage d’un air détaché : on dirait même qu’un petit sourire s’ébauche au coin de ses lèvres pincées…
A côté du lit, la bassinoire en cuivre doré pend contre le mur. Que de douces nuits elle a dû apporter, tiédissant les draps de lin un peu froids et assurant un repos tranquille et réparateur à sa propriétaire !
… Un objet lourd, large et contondant…
Le commissaire bondit, comme si une mouche l’avait piqué ; il s’empare de l’instrument et le retourne : la face un peu bosselée de la bassinoire lui renvoie son image déformée.
L’ustensile brille de mille feux, soigneusement entretenu comme tous les objets de l’endroit.
Un peu gêné, sous le regard narquois de la Béguine, le policier replace la bassinoire sur son crochet. Ce n’est pas encore aujourd’hui qu’il résoudra cette affaire !
( Ă suivre...)
Capucine