Il venait tous les jours de soleil. Moule boules bleu ciel. Torse bombé. Oeil assorti au maillot.
Ma mère décrochait son beau sourire sombre en le voyant venir vers elle.
J'avais 14 ans, 15 ans, ou seize. Aux portes des émois fous. Portes closes bien sûr.
Ce temps passé à tambouriner, à regarder la vie par tous les trous de serrures à portée du désir. J'aimais un garçon, je traquais les filles indifférentes, mais si bleues.
Bleues encore à tel point que je me retourne dans la rue.
Nous passions nos hivers accrochés au mur de la plage. 30° à Noël.
Je suivais ingrat les courbes de l'âge. Le beau parleur serrait les femmes de près. Que pouvait-il bien avoir à dire cet imbécile ?
- Ah, madame Lucienne, vous avez vu ce soleil aujourd'hui ?
- Ah, monsieur Francis quelle chance nous avons !
Courir, courir encore, tailler le ventre tendre des cactus, graver nos initiales de sève, perdus sans espoir.
Ces longues jambes brunies escaladeuses.
Toujours près de la chute sans jamais tomber.
Lui, allait et venait,en maître de ce harem musqué, que l'oisiveté, la retraite dorée, ou les pauses lui offraient sans fin.
Tantôt l'une, tantôt l'autre à poser dans ses pattes de miel.
Elles se roulaient dans ses dents blanches et ses cheveux blonds passés, en gloussant.
Dont ma mère plus en retrait.
Elle ne cautionnait rien.
Sa belle bouche serrée.
Ses yeux fermés.

Au-dessus d'elle, en auréole humide, séchait le maillot de bain. Petit cadavre mou suspendu à une branche, dans une faille du mur. Je la revois, bonnet noir et blanc, tête menue dans la houle.
Se serrent les frissons sous la peau.
Les figuiers secs griffaient le ciel.
Nous passions des heures à forger ces images aujourd'hui revenues par hasard ?
Chaque fois une mouette rappelle la nageuse imprudente.
Chaque fois je lui murmure que les cendres ne coulent pas.

Un jour je l'ai aperçu dans un bus : il tenait le bras de la vieillesse fidèle.
Que pouvait-il bien avoir à lui dire cet imbécile ?
- Ah, madame, vous avez vu ce soleil ?
- Oui monsieur, il est à vous tout entier.

Quand je longe cet endroit où le ressac bat les cartes, il me semble souvent que je vais finir par gagner la partie.