Rien c'est, comme chacun sait, quelque chose.
Pour Francis Pongele galet est un véritable chef d'oeuvre.
"Mais au contraire l'eau, qui rend glissant et commuÂnique sa qualité de fluide à tout ce qu'elle peut entièÂrement enrober, arrive parfois à séduire ces formes et à les entraîner. Car le galet se souvient qu'il naquit par l'effort de ce monstre informe sur le monstre égaleÂment informe de la pierre. Et comme sa personne encore ne peut être achevée qu'à plusieurs reprises par l'apÂplication du liquide, elle lui reste à jamais par définiÂtion docile.
Terne au sol, comme le jour est terne par rapport à la nuit, à l'instant même où l’onde le reprend elle lui donne à luire. Et quoiqu'elle n'agisse pas en profonÂdeur, et ne pénètre qu'à peine le très fin et très serré agglomérat, la très mince quoique très active adhéÂrence du liquide provoque à sa surface une modificaÂtion sensible. Il semble qu'elle la repolisse, et panse ainsi elle-même les blessures faites par leurs précédentes amours. Alors, pour un moment, l'extérieur du galet ressemble à son intérieur : il a sur tout le corps l’oeil de la jeunesse.
Cependant sa forme à la perfection supporte les deux milieux. Elle reste imperturbable dans le désordre des mers. Il en sort seulement plus petit, mais entier, et, si l'on veut aussi grand, puisque ses proportions ne dépendent aucunement de son volume.
Sorti du liquide il sèche aussitôt. C'est-à -dire que malgré les monstrueux efforts auxquels il a été soumis, la trace liquide ne peut demeurer à sa surface: il la dissipe sans aucun effort.
Enfin, de jour en jour plus petit mais toujours sûr de sa forme, aveugle, solide et sec dans sa profondeur, son caractère est donc de ne pas se laisser confondre mais plutôt réduire par les eaux. Aussi, lorsque vaincu il est enfin du sable, l'eau n'y pénètre pas exactement comme à la poussière. Gardant alors toutes les traces, sauf justement celles du liquide, qui se borne à pouÂvoir effacer sur lui celles qu'y font les autres, il laisse à travers lui passer toute la mer, qui se perd en sa profondeur sans pouvoir en aucune façon faire avec lui de la boue."
Francis Ponge
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