« Dès que sonne le glas sur une vie humaine
Ma mine se réjouit au son des grandes orgues,
Car tel est mon plaisir lorsque je me démène
De voir ma récompense étendue à la morgue.
Puis j’aime cette ambiance à la chapelle ardente
Quand les proches affluent autour de ma victime,
Dans la pièce soumise à l'odeur d’épouvante
Je hume le parfum de leurs pensées intimes.
En l’église sinistre une estrade est dressée
Tel un fier catafalque immaculé de gloire,
Mais la fourbe oraison par le prêtre tressée
N’émeut pas le cadavre endormi comme un loir.
Enfin, le corbillard, sous cette pluie macabre
Avance lentement jusqu’à la nécropole,
Le tombeau sera digne après tant de palabres
D’une voûte identique aux voûtes des coupoles.
Que j’aime ces moments sinistres, mornes, froids !
Où s’apitoie la foule endeuillée de douleur,
Et je contemple alors son sculptural effroi :
Et je ris de ses maux et je vis de ses pleurs !
Ainsi je me promène en ces doux cimetières
Surpris, de temps en temps, au détour d’une allée,
De découvrir, parfois, de riches héritières
Sous les ruines ternies d’un ancien mausolée.
Dans les austères murs de quelques cathédrales
Je témoigne aux enfeus mon amitié loyale,
Puis, discret, je descends cueillir le dernier râle
Expirant de la crypte en l’hypogée royal.
Lorsque la chair m’ennuie, je visite un charnier
Jouant aux osselets avec maestoso,
Car il faut ĂŞtre habile et adroit pour manier
Un squelette vĂŞtu simplement de vieux os.
Bien sûr, je suis présent dans le columbarium
Admirant la beauté de cet art funéraire,
Je suis avec le mort dans le funérarium
Et puis je l’accompagne en l’urne cinéraire.
Sarcophages, cercueils, caveaux ou mastabas !
Je connais les secrets même du cénotaphe !
Et j’accueil, souriant, l’âme de la koubba :
J’aime la poésie vomie par l’épitaphe ! »
Ainsi parlait Hadès d’un ton déconcertant
Ecumant les ardeurs de sa taphophilie,
Quelle immonde crapule ! Oh, je sais… mais pourtant :
Il sera cet amant de notre dernier lit…
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"Entre toutes les différentes façons d'exprimer une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la bonne. On ne la rencontre pas toujours en écrivant ou en parlant mais il s'avère néanmoins qu'elle existe."
La Bruyère