Elles ont déjà servi, ces rimes que tu aimes,
Ces feuilles qui tourbillonnent dans la forêt, l’automne,
Comment peux-tu écrire un tout nouveau poème ?
Tu ne saurais écrire de beaux vers, qui m’étonnent.

Vas-tu faire rimer « amour » avec « toujours »,
D’autres l’ont fait déjà, mille fois, avant toi,
De ce grand sentiment, tous, ils ont fait le tour,
Ils ont écrit ces mots plus d’un milliard de fois.

Cueillir petites fleurs ne t’en va pas au bois,
Et pour séduire mon cœur ne choisis du muguet,
Ne t’imagine pas qu’il soit de bon aloi,
D’oser sur mes deux lèvres déposer un baiser.

Je souhaiterais de toi une plus grande ivresse,
Un poète se doit d’être plus inventif,
Il ne suffit de dire : « Je veux t’aimer sans cesse »,
Il te faut t’abstenir de ces vilains poncifs.

Et plutôt que d’écrire : « J’avoue que c’est étrange,
Ton visage est celui d’un ange au paradis. »
Dis donc : « Je t’aime tant, il faut que je te mange. »
Cela tu peux l’écrire, on ne l’a jamais dit*.

Faut-il être un génie et s’appeler Gainsbourg,
Pour savoir inventer d’étranges mots d’amour,
Donner de la noblesse à nos mots les plus crus,
Et avouer à Bardot : « Je t’aime, moi non plus » ?

Est-il besoin, aussi, de s’appeler Corneille,
Pour dicter à Chimène : « Va, je ne te hais point » ?
Des mots lui sont venus, qu’il ignorait la veille,
Avec ce presque rien il a fait du divin.

Je sais que tout est dit et que l’on vient trop tard,
Mais je n’ai pas encore dit mon tout dernier mot,
Le poète amoureux sait se fier au hasard,
Je vais imaginer des vers qui sont plus beaux,
Je trouverai pour toi des rimes interdites,
Que personnes avant toi n’aura imaginées,
Je n’aurai pas recours aux images érudites,
Car pour savoir écrire, il faut avoir aimé.


*Si ! Romain Gary à Chrystel Tyland, un amour de jeunesse,
en 1937 : « Je t’aime tellement que j’ai envie de te boire, de te manger, et m’habiller en toi et de te porter autour de mon cou, comme un châle. »

Dumnac