Plume de satin Inscrit le: 18/4/2006 De: Envois: 43 |
DU HAUT DE MA TOUR...
Je l’ai découverte dans un jardin à l’abandon de la taille d’un mouchoir de poche : emprisonnée dans son carcan de lierre et de racines d’arbustes sauvageons, surmontant un puits, elle ne servait plus que de refuge aux nids d’oiseaux et portait à son flanc une lézarde béante, comme une blessure grave sur une bête agonisante.
J’ai fait doucement pivoter sa porte de planches disjointes sur des gonds rouillés : je crois que c’est à cet instant précis que j’ai ressenti un « coup de cœur » pour ce bâtiment modeste. Construite en blocs de grés et de calcaire mêlés à du tuileau, extraits des collines alentour - les Anciens de la commune m’ont parlé de l’époque de leurs propres grands-parents – elle a été peu à peu oubliée au centre du village gangrené par l’urbanisation : ma tour n’a pas d’âge !
Sur sa roue dentelée, seul vestige d’une noria alimentant les habitants en eau par le passé, s’égrènent à un rythme alangui les heures que j’y passe : ma tour ralentit le temps !
Les jours de grand vent, de fines particules de vieux mortier se déposent dans le moindre recoin, à mon grand désespoir ; mais je dois me faire une raison : ma tour respire comme un grand animal tiède !
L’écho des évènements du monde vient doucement s’échouer à ses pieds, comme une vague mourante. A l’intérieur de sa douce matrice, je ne laisse me parvenir que le bruit familier, rassurant des miens : ma tour est refuge !
Selon le moment de la journée, la lumière joue sa partition sur les saillies et creux de ses murs irréguliers, y réveillant un court instant l’éclat de gemmes de mica ou de quartz. Cette palette changeante me surprend et me séduit à la fois : ma tour est caméléon !
Avec une infinie complaisance, elle a accueilli mon joyeux capharnaüm et s’est laissée apprivoiser : étagères ployant sous les livres, menus objets ramenés de voyages, cartes d’amis globe-trotters et présents d’élèves en tapissent désormais les parois. Elle m’a même cédé poliment le rebord de son linteau martelé au burin pour y installer ma collection de pots à fard et une délicate plante verte. Un gecko, que je ne suis jamais parvenue à déloger, a lui aussi trouvé asile entre ses vieilles pierres ; nous avons appris à cohabiter et le bruit furtif de ses déplacements accompagnent souvent mes soirées de veille : ma tour est généreuse !
On m’a dit que les soirs de pleine lune, sa silhouette allongée se détachant dans l’obscurité parsemée d’étoiles, elle a un peu l’allure d’un doux Cyclope clignotant malicieusement de son œil unique : c’est peut être bien parce que ma tour, depuis que je l’ai ramenée à la vie, est heureuse !
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