PÊCHEUR DE SOUVENIRS

je ne la veux pas
mais toujours elle revient
le réminiscence
elle est assise dans l’herbe
et tricote
et lui aussi le souvenir
il marche le long de la rivière
il pêche
lançant sa canne très haut
dans le ciel
et moi au milieu
entre la réminiscence
et le souvenir
je vais

les herbes sont folles
elles pourraient atteindre
la femme dessus
elles ne le font pas
l’homme au bord de l’eau
je l’accompagne
son hameçon pourrait
m’attraper l’œil
le cœur ou le foie
j’ai souvent désiré
me faire grignoter le foie
par une horde de poissons
qui s’intéresserait à moi

d’elle ou de lui
je ne sais quoi faire

parfois elle échange
son tricot contre un livre
épais qu’elle lit
je ne sais pas rentrer dans son livre
le tricot
peut-être qu’un jour il me reviendra
je me dirai que chaque maille
aura été pour moi
le spectacle d’une création
et lui le pêcheur
foulant les roseaux
son ombre minuscule
dans le paysage
si je m’approche de lui
son ombre géante me couvre

nous sommes tous les trois
dans un coin de l’Eure
un petit pré
à l’abri du vacarme
sauf que je pressens
le tohu-bohu des pensées
qui se chamaillent
sous le cheveu des adultes

je me satisfais des libellules
sereines
sur l’épi des massettes
ou d’un asticot en lutte avec sa glaise
crier serait bon
mais crier après qui
il y a des cris que l’on garde longtemps
en réserve
comme un fromage rare
sous sa cloche

la lumière est jolie
celle de la réminiscence
elle est brunissante
sur les bras les mains
de la femme au soleil
qui décline
l’herbe prend feu
la rivière miroite
il ne sera pas bredouille
le pêcheur
même sans poisson
son plaisir de pêcher
aura été assouvi

tout ça d’eux me revient
maintenant qu’ils sont froids en terre
la conversation avec eux continue

alors qu’elle n’a jamais commencée

JEAN