Plume de platine Inscrit le: 6/12/2019 De: Gironde Envois: 3216 |
Mon autre ( Lettre perdue) Mon Autre.
Je suis Tom, enfin quand je peux car en moi vit un autre…
Cet autre aime être sous la lumière, moi, je préfère me fondre dans la masse car de nature réservé, j’observe la vie à ma manière, craintif de ce qui pourrait arriver… Les choses incontrôlables que notre cerveau peut nous amener à faire sont ingérables croyez-moi !
Enfant, je vivais dans une petite commune dans l’ouest de la France. Mon père était boulanger et ma mère s’était fait la malle peu après mes six ans. J’avais une amie Emilie, nous allions à l’école ensemble, son père tenait le bar sur la place du centre tout près du commerce de ma famille. On avait un point en commun avec Emilie la sévérité et la peur au ventre de nos pères. Le sien était violent en paroles et le mien cognait encore et encore pour un oui ou pour un non…Sans doute pour cela que l’on était attiré l’un par l’autre. Alors on grandissait complice, main dans la main durant plusieurs années. A l’adolescence, elle devint ma petite amie. Ensemble on essayait de se réparer des coups et des insultes qui continuaient à polluer nos vies. A deux, on pensait que l’armure qui habillait nos corps s’avérait assez solide pour tenir jusqu’à notre majorité et ensuite, on s’enfuirait loin, très loin des deux monstres. Mais tout ne s’était passé comme on l’espérait et tout bascula…
Mon comportement commença à changer parfois avec elle et avec les autres sans comprendre pourquoi. Je devenais sans raison méchant avec des idées étranges dans ma tête. Un cœur de glace dans ces moments-là me murait. Je ne me reconnaissais plus. Au début cela durait quelques minutes, ensuite j’avais comme tout oublié ! Bien sûr, elle commença à s’éloigner de moi peu à peu car mon état empirait de semaines en semaines. Je ne peux pas lui en vouloir, qui aurait voulu rester avec moi, le fruit d’une mère en fuite et d’un père à la ceinture cinglante comme arme pour éduquer un gamin qui ressemblait tant à sa génitrice. Dans ses folies, il me demandait rageusement de baisser les yeux, ne supportant pas le procès que mes prunelles d’innocent lui infligeaient ….Moi le battu, je devenais par ses paroles le seul coupable….Pour supporter cette misère affective et les multiples ecchymoses sur mon corps je me suis fabriqué des remparts dont seul l’esprit en connaît les secrets…Un bouclier inhumain forgé par une colère qui prend possession avec violence de mon être. Je suis incapable de lutter, il m’absorbe et me détruit jour et nuit depuis tant d’années. Mourir pour le tuer pourrait être la solution mais à chaque fois que j’ai essayé, il m’en a férocement empêché !
Chut ! Dans un murmure je vous le confie car il n’aime pas que je parle de lui !
- Mon autre moi, ma colère, ma survie se nomme Charlie !
Dans mes périodes de répit, je ferme les yeux revoyant Emilie dans sa robe fleurie pédalant dans nos chemins de délivrance. Son sourire éclatant tranchant avec son regard rougi par des larmes brûlantes et ses rires emplis de fêlures sont mes souvenirs d’elle, me faisant si mal quand la nuit approche. Depuis 20 ans la solitude est mon quotidien, celle que la société a décidée, de nouveaux remparts aux tristes barreaux pour épargner les autres. Mon père en liberté tandis que je suis un animal en cage qui par la fenêtre scrute des nuages se déplaçant dans un ciel d’évasion. Je l’entends, le sens arriver, le plomb de ses pensées m’envahit, des sables mouvants m’enlisent....Partez ! Fuyez ! Oubliez mon aveu qui a un jour croisé votre route, faites que mes mots deviennent une lettre perdue car personne ne peut me sauver. Beaucoup trop ont essayé par la parole, les médicaments et l’enfermement. Aucun n’a pu trouver la clé pour ouvrir mon esprit verrouillé…
Je ne suis plus que l’ombre de TOM qui jouait enfant avec les longs cheveux blonds de sa maman.
Le froid s’installe, le petit bout de crayon dérobé tremble, les yeux deviennent pierre et la bouche d’un rictus inquiétant est déformée par des ricanements effroyables qui déchirent l’obscurité en formant des cicatrices au silence…
Salut, moi c’est CHARLIE Dans mes veines le sang du père.
Le petit bout de crayon vole à travers la chambre et tombe. La mine se brise, la lettre se froisse. Les mots se taisent….
Romane.
(- Je ne suis qu’une conteuse de leurs douleurs dans l’espace d’une page De leur vie…)
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