Devinant une certaine colère à son égard, de la part des deux guides indiens, c'est avec la plus grande diplomatie qu’Edouard Keyn reprend la conversation avec eux. Il leur explique que la ville la plus proche reste très éloignée, et qu'il doit en fin de semaine s'y rendre en voiture. Ainsi parvient-il à les persuader de rester encore quelques jours parmi eux, ce qu'ils finissent par accepter, pour le plus grand soulagement de Carole. Celle-ci comprend très bien cette forte volonté qu'ont ses deux compagnons de repartir, mais en attendant, tous les trois accompagnent Edouard, qui les a invités à partager un petit déjeuner très copieux.

Pendant qu'ils mangent, Carole explique à Edouard comment elle est arrivée jusqu'à lui, par contre elle ne se souvient pas de son existence avant l'accident. Elle n'oublie pas de lui parler d'Hubert, le pilote, grâce auquel elle a eu quelques explications sur leur accident d'avion, et qui a éveillé en elle l'envie soudaine de partir à la recherche de cette moitié d'elle qui lui manque parfois. Edouard n'était pas au courant de cet accident, mais il est vrai que la région est si boisée, qu'ils ne peuvent pas savoir tout ce qui s'y passe! Habituellement, chaque tribu essaie de récupérer quelques paquets des épaves abandonnées après les accidents, mais de celui-ci, il n'en a pas entendu parler, peut-être en raison de l'incendie qui a du faire disparaître tout ce qui pouvait être intéressant pour eux.

La richesse des connaissances d'Edouard intrigue Carole, qui espère découvrir dans quel pays elle se trouve et peut-être en apprendre un peu plus sur ce qu'elle attend de savoir. Plusieurs jours s'écoulent, et pour la première fois Carole se sent vivre pleinement, elle est heureuse en compagnie d'Edouard, qui la laisse participer à l'enseignement qu'il donne aux enfants du village. Elle apprend à reconnaître les pays sur la carte accrochée sur un mur de la classe, mais rien ne lui revient en mémoire, et elle ne sait toujours pas d'où elle vient, ni quelle était la destination de son voyage.

Carole s'est installée dans une ancienne case du village, que les indigènes se sont empressés de remettre en état. Edouard l'invite à y habiter tout le temps qu'elle acceptera de rester avec eux, et se propose de l'aider dans ses recherches sur elle-même. Pour le remercier, Carole essaie chaque jour de se rendre utile auprès des élèves et n'hésite pas à ranger la classe dès la fin des cours. Elle apprécie toujours un peu plus son séjour dans ce nouveau village, son accueil chaleureux et particulièrement l'intérêt que lui porte Edouard. Une attention qu'elle a, dans un premier temps, ressenti comme un amour paternel, peut-être en raison d'une certaine sécurité que semble lui apporter ce grand homme barbu.

Le jour du départ est arrivé, Edouard a rendez-vous en ville, et tous les sacs sont prêts et déposés dans le coffre d'une vieille voiture. Le trajet se révèle long sur ce chemin sinueux, et il laisse Carole sans voix. Elle sent au fond d'elle comme un déchirement et se rend compte qu'elle ne désire plus, pour l'instant, continuer son chemin. Elle aurait aimé qu'Edouard lui propose de rester près de lui, mais il ne l'a pas fait, et elle n'a pas osé s'avancer et lui avouer qu'elle ne voulait plus partir. Elle ne comprend pas ce qui lui arrive, pendant des mois, elle était si sûre d'elle et de sa détermination à vouloir se retrouver, maintenant elle veut laisser le temps décider pour elle.

Arrivés aux portes d'une ville, qui leur semble immense, elle regarde Edouard, son coeur se met à battre plus fort, mais elle tourne les yeux et descend comme ses deux compagnons. Tandis qu'ils discutent entre eux, Edouard salue les deux hommes, puis prend la main de Carole, et après un instant d'hésitation, lui propose de réfléchir avant d'affronter seule la découverte de cette ville. Lui aussi a envie qu'elle reste, mais ne connaissant pas ses sentiments, ne souhaite pas s'imposer à elle. Chacun reste muet un instant tant l'émotion est forte, puis Carole ferme les yeux acquiesçant un oui timide, contraire à son tempérament impétueux. Elle pose son sac à terre, et prend ses deux amis dans ses bras pour les remercier avant de les quitter. Tous deux avaient compris dès les premiers jours qu'un nouveau sentiment habitait le coeur de Carole.