Et si l’enfer commençait par un seul petit doute ?
Par une simple question trainant au coin d’un mot,
Un papier, un brouillon, oublié là sur la route,
A peine plus consistant que l’esprit chez un sot.
Juste une ponctuation, laissée comme un oubli,
Au bout d’une idée triste qui passait en retard,
Dans le dernier métro d’une lettre finie,
Sur le zinc un peu poisse, au Bistro du Hasard.
« Comment vas- tu, dis- moi ? », c’était bien ordinaire
Comme enquête innocente sur l’état de son cœur,
Sur celui de ses veines, son drĂ´le de petit air.
Une réponse en ellipse, mystère sans douleur…
Tout commence Ă trembler autour de cette brume
Qui se lève et entoure des paroles anodines;
Des conjectures Ă©normes, prises dans le bitume
Se dressent dans les vides d’une voix sibylline.
« A t- elle a ce point mal, qu’elle n’ose me le dire ?
Pourquoi ne peut- elle pas m’avouer ce secret ?
Suis- je indigne ou stupide pour n’avoir qu’un sourire ?
M’aime t- elle si peu ? Ne suis- je qu’un jouet ? »
Et de fil en aiguille, pour peu que l’on ne s’en garde,
L’esprit retourne et tord contre lui ses propres peurs,
Se retrouve accablé, assiégé par les bardes
Chantant la danse macabre des questions sans lueurs.
Qu’est-il de pire au fond, que de sentir l’échec
La morsure cuisante de se voir Incapable
De démêler les fils d’un nouveau casse- tête
Où l’on cherche bien en vain une victime, un coupable.
Ce ne peut être d’elle que vient la flétrissure
Car elle est douce et belle, des yeux jusqu’à l’âme,
C’est donc ailleurs que je planterai mes morsures,
C’est dans un autre cœur que j’enfouirai ma lame.
Le doute s’est mué en animal méfiant
Craignant pour sa survie, il rejette la faute
Et se glisse dans une peau d’insecte intolérant,
Bientôt violent, c’est sûr, voilà le pas qu’il saute.
Et la dernière étape de sa métamorphose,
Celle qui ouvre les portes de tous les enfers
Qu’ils s’appellent Auschwitz, Sarajevo, si j’ose,
C’est à l’indifférence que l’on en doit le fer.
Sauf que peut- ĂŞtre avant de glisser sur le doute,
J’aurais eu le souvenir de tout ce que je cache
De ce que je n’ose dire, de toutes mes déroutes,
De tout ce que j’ai aussi eu peur qu’elle ne sache.
Je penserai son visage avec moins d’impatience,
J’attendrai ses réponses sans poser les questions
Et peut- être en retour verrai- je l’insouciance
Relâcher les ressorts de toutes ses tensions.
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