Intimité


Dédiée à Marie dite Albatros



Seul,face à une chaise vide,au café,je sirote un verre de thé à la menthe en brûlant une blonde dont je suis la fumée qui monte vers un horizon délavé,livide et lugubre.Je revis le cauchemar de la veille par bribes.Je me rappelle bien la scène où un militaire de grade supérieur a donné ses ordres à ses sous officiers d'un air hautain,éméché:"Nettoyez les lieux!Je ne veux aucune trace de sang ici".Les soldats ont tiré à bout portant sur la foule de nuitards en liesse et j'y étais avec mon fils Yuba.Une main m'avait arraché de force le petit qui criait:"Papa!Papa!Ne les laisse pas m'emmener!"Je les avais suppliés de me rendre ma pupille en vain.Avant de l'enfermer dans la fourgonnette,ils m'ont criblé de balles.Je me réveille en sueur.

Seul,dans ma tombe,face à la motte encore mouillée,au cimetière du village,empan sous la terre qui m'avait vu naître,je crie à en perdre ma boule:"Non!Non,je vous en conjure!Prenez tout ce que vous désirez sauf mes livres!"Je vois les membres de ma famille qui vident les étagères de ma bibliothèque et qui se disputent mes toiles accrochées au mur et mes sculptures étalées sur la table basse.Ma femme,la pauvre veuve vêtue de blanc immaculé,quant à elle,elle pleure à chaudes larmes.Je me réveille en fureur.

Seul,face à une populace inculte et farouche à la connaissance,au pays des multifaces,je comble une feuille de l'encre de mon coeur,de ma joie d'enfant étonné et de ma peine d'homme malheureux car conscient.Je nourris pourtant l'espoir de la douce illusion de l'écriture en offrande à un lectorat éventuel réel ou virtuel;peu importe.Je vis pleinement mon rêve éveillé,ma folie,mon utopie et ma foi en l'Humanité qui à mes yeux est digne de mon amour et de mon respect.Je me lève sans rancune ni rancoeur.



Farid Mohamed Zalhoud
Tafraout,le 10/07/2008

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"Je n'existe que dans la mesure où j'existe pour autrui"
Manet




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