Plume d'or Inscrit le: 5/3/2008 De: Tunisie Envois: 1238 |
Le tombeau et la nuit Le tombeau et la nuit La nuit Ô, tombeau ! Du néant je suis la porte ! Les mortels que dans tes serres tu emportes Au Royaume du Seigneur, spectres ailés, S’envolent dans mon azur étoilé Quand de tes fers je libère leurs âmes En rallumant leurs yeux pleins de flamme ! Sur mes ondes infinies comme la mer, Je les emporte, d’éther en éther Et de port en port, sur mon aile sombre Au dieu radieux qui rayonne dans l’ombre, Qui, assis sur son trône, les attend En songeant, l’œil courroucé et content, À leurs actions, qu’il voit dans sa pensée Finies, quand elles ne sont point commencées. Vivants, j’accueille leurs sages sous mon toit ; Les amants qui se cachent dans les bois Loin du monde importun qui les regarde, Bénissent les sentiers où ils se hasardent, Complices de ma douce obscurité Amie de l’amoureuse témérité ! Le sage, n’écoutant que mon murmure, Penché sur un livre aux pages obscures Et oubliant ce que les hommes font, Aime à laisser errer son œil profond Qui sonde mon insondable mystère !
Le tombeau Ô, nuit ! Du sage le front austère Et du roi le front haut, jamais courbé, Pâlissent dans mon abîme tombés ! Ceux dont la gloire éphémère rayonne Dans l’univers que leurs travaux étonnent, Amants de la couronne ou des lauriers, Craignent toujours mon gouffre meurtrier ! Combien de braves en songeant à moi tremblent ! La terre les désunit ; je les rassemble Souvent victimes de leurs inimitiés. Mais que tous ces mortels me font pitié ! Je plains l’amante, douce et éplorée, D’un amant louant l’image adorée, Qui vient, près de mon marbre silencieux, Comme l’ange avec ses ailes, cacher ses yeux Et ses larmes avec ses mains blanches ; Oiseaux qui n’ont point chanté sur leur branche, Je plains ces enfants tendres qui sont morts, De leurs mères la joie et le remords. Ô, épouses pâles ! Ô, mères livides ! Ô, lits déserts ! Et, ô, berceaux vides ! Hymen meurtrier et amour fatal ! Même le méchant occis par le mal M’attendrit. Il s’en va à l’abîme, De lui-même bourreau et victime Et, vivant triomphant, se meurt maudit. Mais toi, nuit au front radieux, Dieu te dit D’être douce et d’aimer toujours les hommes. Tu apaises les maux du monde où nous sommes, Propice à l’amour, tu l’es au sommeil ; Quand tu éteins le flambeau du soleil, Tu dis aux mortels : « Fermez vos prunelles, Dormez et aimez-vous ! » Nuit éternelle, Sois bénie ! Moi, je ne le serai pas, Captif maudit de l’immortel trépas !
La nuit Maints hommes las, maints hommes qui souffrent, Se reposent, tombeau, dans ton gouffre Dont les caresses apaisent leurs douleurs ! Le temps de tous les yeux essuie les pleurs Avec le pan ténébreux de sa bure. L’oubli savant sait guérir les blessures. Ne pleure point, tombeau ! Tout rayon s’éteint, Tout ici-bas obéit au destin Et la vie à tout vivant sera ravie. La nacelle par la houle poursuivie Ne maudit point le vent à Dieu soumis ; Des hommes qui tombent tu n’es point l’ennemi. Le Seigneur, dans sa sagesse infinie, Créa la mort, comme la vie bénie ! Tout est un rayon tombé de son front, Tout-puissant, il sait et nous ignorons.
Le tombeau Ô, nuit immortelle ! Que tes paroles Sont douces, et que ta sagesse me console ! Je souffre et tu as daigné m’écouter ; Comme la mère son enfant épouvanté, Ta lyre aux chants bienheureux me berce Et les larmes que ma douleur verse, Comme la rosée sur la fleur, sur ta main Tombent, loin des yeux cruels des humains. Mais de la mort je suis le sombre emblème, Pareil à cet azur que tu rends blême, Mon front, que même le rayon obscurcit, Est obscur, et mon cœur est sombre aussi ! De tant d’yeux j’ai vu tomber tant de larmes !
La nuit Que Dieu ait pitié de tes alarmes ! Qu’il écoute les soupirs de ton doux cœur ! Je ne te le cache point : ton œil vainqueur M’inspirait tant d’effroi ! Et, coupable, Je croyais ton âme inexorable ! Pour ce crime daigne me pardonner !
Le tombeau Nuit immense, du tombeau abandonné Tu plains la douleur et la solitude ; C’est assez ! Amie de mes inquiétudes, Sois bénie ! Ô, douce et souveraine nuit, Plus radieuse que le jour qui reluit !
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