Le remords

Quand les dieux puissants et irascibles
Voulurent des hommes châtier la vanité,
Ils créèrent cette atroce divinité
Et lui dirent : « Va ! Tous les cœurs sont tes cibles !

Sème la terreur, assiège les coupables,
Torture les esprits de tous les mortels !
Et pour qu’ils daignent encenser nos autels
Plane sur eux comme un spectre formidable !

Écrase leur orgueil, blase leurs espérances !
Qu’ils brûlent patiemment dans tes enfers
Et qu’en languissant sans cesse dans tes fers
Ils en souhaitent vainement la délivrance ! »

Remords, fils monstrueux de la Vertu !
Tu achèves, avec ta miséricorde,
Les pauvres mortels, amants des discordes ;
Tu es pareil à ces corbeaux têtus

Qui, même après la mort, hantent leurs victimes.
Tu es toujours fort et partout vainqueur ;
Tu tortures les âmes, tu ravages les cœurs
Et en criminel tu châties le crime !

Tu es le remède et le poison !
Tu tues en même temps que tu ressuscites ;
Comme le feu, tu brûles l’homme que tu habites,
Comme la folie tu lapides la raison !

Ô, remords, ennemi mortel de l’espoir !
Tu es un monstre inquiet, avide de larmes ;
En t’affrontant les mortels usent leurs armes
Car tu vaincs toujours, démon au cœur noir !

*Petite note: "miséricorde" (quatrième strophe) garde pleinement son sens étymologique et signifie: "épée".