L'étalon cobalt

Il était une fois, il y a très longtemps, un lointain pays d'extrême-orient dans lequel vivaient deux petits princes, une petite fille et son très jeune frère, prénommés Hakira et Genki. Tous deux habitaient le palais de leur père, un empereur craint et respecté. Ces enfants étaient tout à fait charmants et comme tous les autres petits, ils aimaient s'amuser et rire aux éclats. Leur passe-temps favori était l'origami, un art ancien et vénérable qui consiste à réaliser des objets en utilisant le papier comme unique matériau. Ces papiers pliés, une fois terminés, sont surprenants et paraissent parfois vivants lorsqu'ils représentent des animaux. Ils avaient étudié cet art ancestral sous l'autorité d'un maître bienveillant mais quelquefois malicieux. C'était en tous cas un excellent pédagogue.

Un beau jour de printemps, au moment où les cerisiers en fleurs enchantaient les paysages vallonnés de la contrée, les deux petits princes étaient particulièrement satisfaits de leur dernière réalisation : un cheval en papier plié tout à fait fascinant, d'une belle couleur cobalt. Ils voulurent le montrer à leur maître en origami, car ils attachaient beaucoup d'importance à son jugement. Devant le vieil homme et les deux enfants éberlués, la monture en papier se cabra soudain, tomba à terre et dans une métamorphose stupéfiante, se transforma en étalon puissant et plein de fougue.

Le maître cacha un sourire mais Hakira et Genki étaient terrifiés. Surtout lorsque la belle monture prit la parole pour leur demander où elle se trouvait. La petite princesse lui répondit d'une voix tremblante qu'ils se trouvaient tous dans le palais de l'empereur, leur père. Cela n'impressionna pas l'étalon cobalt, il s'ébroua et d'un mouvement vif, se dirigea vers la porte. Là, il se retourna et demanda aimablement aux deux enfants s'ils voulaient explorer le vaste monde en sa compagnie. Les petits princes furent terriblement tentés d'accepter mais ils voulurent d'abord demander l'autorisation à leur maître. Curieusement, ce dernier s'était évaporé. Les enfants décidèrent alors d'un commun accord de suivre le bel étalon magique. Ils montèrent sur son dos et sortirent du palais.

Lorsque cet équipage surprenant atteignit la campagne, les petits furent fous de joie. Comme la nature était belle ! Ils ne sortaient jamais du palais, restant bien protégés derrière les hautes murailles de celui-ci. Leur père veillait avant tout à la sécurité de sa descendance et ne voulait pas les exposer aux périls du monde. Hakira et Genki admiraient les fleurs des cerisiers, quelle grâce, quelle magie jusque dans la nature ! Le cheval trotta paisiblement jusqu'au village qui jouxtait le grand parc du palais. Là, les deux petits princes sur le dos de leur monture découvrirent le monde du travail et du quotidien. Ils croisèrent paysans et artisans, vieillards et adultes ployant sous la charge de multiples ballots. Ils entendirent pleurer les enfants, crier les femmes et virent le temps suivre son cours pour toutes ces personnes dont ils ignoraient jusqu'à l'existence. La compassion étreignit le coeur des petits princes. Ils réalisaient à quel point la vie pouvait être belle mais aussi douloureuse et difficile pour certains.

Le soleil déclinait à l'horizon, l'étalon cobalt déclara qu'il fallait à présent regagner le palais. Ils rentrèrent au grand trot. Le cheval en papier plié déposa les deux enfants devant la porte de leur chambre et disparut subitement. Où était-il passé ? Nul ne pourrait le dire car on ne le revit plus jamais. Un garde survint à cet instant et demanda aux petits princes de se dépêcher : c'était l'heure du dîner, l'empereur les attendait dans la grande salle à manger. Hakira et Genki le suivirent docilement, sans rien dire de leur escapade. Ils n'en parlèrent d'ailleurs à personne, pas même à leur maître, même si ce dernier semblait avoir tout deviné. Mais ils n'oublièrent pas la leçon apprise grâce au bel étalon cobalt : le vaste monde existait en dehors du palais et les êtres humains y vivaient parfois bien difficilement.

FIN