Plume de platine Inscrit le: 8/4/2020 De: Envois: 2351 |
On écrit aux femmes quand on a... (47)
Crayon et pastel de Lejumeau
Le jour où je la vis pour la première fois, j'en fus bouleversé Je jouais dans la rue Une fillette s'arrêta sur le seuil d'une maison Un sac d'écolière au bras, je la vois encore De longues boucles blondes et un chemisier col Claudine Comme on tardait à lui ouvrir la porte Elle frappa du pied, puis regarda autour d'elle Je la vis passer la main droite devant son œil Comme pour chasser un moustique Ma main fit le même geste que la sienne Elle n'avait pas dû le remarquer Néanmoins, je rougis Il me semblait que ce geste machinal était très distingué Et je le renouvelai plusieurs fois en me cachant On m'envoya à l'école quelques mois après Elle n'était guère plus âgée que moi, lisait déjà couramment Le maître la chargeait de menues besognes Elle distribuait les cahiers, les crayons, de son pas rapide et sautillant Après, toute fière, elle avait une façon de s'asseoir De rejeter en cercle autour d'elle sa robe plissée Quand elle prononçait mon prénom Je devenais d'un seul coup aveugle, sourd et idiot Après, je suis devenu son ami Je ne me souviens plus très bien comment Mon souvenir le plus émouvant est celui de nos adieux Quand elle fut envoyée au lycée de Montreuil Notre dernier après-midi de vacances Nous le passâmes à pleurer au fond d'une grange, blottis contre un tas de foin Je me rappelle encore le ronron d'une batteuse Et l'eau d'une gouttière percée qui creusait le gravier au coin du mur Nous échangeâmes des serments de fidélité Le lendemain, je vins fureter autour de la grange. Elle m'avait dit : « II y aura une surprise pour toi... » J'ai découvert sa surprise Un cœur tracé à la craie sur la porte, avec nos initiales enlacées Mon enfance était morte, elle quittait le village J’aurais pu lui écrire Mais on n'écrit pas aux filles quand on a dix ou onze ans Des mots qu'on ne confie pas quand on est enfant Mais après... J'ai attendu bien trop longtemps
A la gare Saint Lazare sept ans après Je vois une jeune fille très élégante qui s'éloigne seule, à pas pressés Une démarche sautillante, la même Elle s'arrête, ouvre son sac Je me précipite C’est là que je l'ai retrouvée, je partais pour l’armée Elle m’a donné son adresse On écrit aux femmes quand on a dix huit ans
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