Derrière la grange bruisse l’aurore
Et la neige qui recouvre le ventre du monde
Ce cheval allongé est là immobile
Son souffle est lent
Brisé à travers les mouvements de son cou long


Sur sa poitrine coulent des ombres noires des landes
Où bruyères dispersent la douleur des ténèbres
Il porte la brisure d’un soldat mort dans son ventre fendu
Fœtus de sang pétrifié avorté par le froid de l’aube


Ses entrailles de cheval endormi refermées par des aiguilles de givre
Se sont remplies de pas lourds
Spectres résignés
Martelés dans la neige brillante de lune



Où sommes en 1815 en pleine Russie //



Cette existence est venue en avril dernier
Accord de sang vibrant dans le ciel pur du printemps
Petit éclat joyeux à la distance du néant


Cette vie nôtre
Avance
Parmi les survivants
Parmi les pierres de la montagne
Elle marche à bâtir les murs de son domaine


Elle fait ses pas pas à pas à trancher
les nœuds doux des vipères
Dans l’odeur âcre des plais qui suintent des tourbières


Elle marche à comprendre et embrasser
Les battements des cœurs retrouvés

Elle marche au hasard des forêts au milieu de la clairière
Fragile comme l’écorce des bouleaux éclatés de l’hiver

Elle marche bousculée en pleine rivière
Par la force par la soif par la faim encore et encore

Elle marche vers l’étang qu’il faudra traverser
Au terme parvenu de la douce clarté
Pour noyer un néant de poussière allumée //