"C'est cela la tendresse, l'équilibre des gestes, des mots qui sont à la mesure des sentiments."
Anne Bernard, l'amour sauf passeport

Un jour il en eut assez d'écrire.

Deux fois par semaine, toujours le même papier, les mêmes

mots pour terminer ses lettres :

« N'oublie pas que je t'aime et prends bien soin de toi. »

II en eut assez de la distance qu'imposé la vie, ou les années,

ou les deux à la fois.

Assez d'attendre ces rendez-vous programmés quatre fois par

an, quatre fois seulement.

L'amour, même enraciné profondément ne peut se contenter de supports aussi frêles : du papier et des rendez-vous.

Ce matin-là il s'est levé plus tôt que d'habitude et s'est rendu

au fond du jardin, dans la remise à bois.

Une heure plus tard, quand il est revenu, il a déposé un paquet

de planchettes au milieu du salon.

Il est ensuite reparti chercher les lettres, le calendrier, des

clous, de la peinture, un marteau, des allumettes.

Il a fermé portes et volets, fait gronder un bon feu dans l'âtre,

disposé les lettres et le calendrier devant la cheminée, puis il a

peint les planchettes de couleurs agréables et les a assemblées

en une jolie boîte.

Pour qu'elle garde une trace, pour qu'elle n'oublie pas.

La boîte est terminée, il va pouvoir y disposer les lettres et ce

calendrier !

Il l'ouvre, la regarde, et brusquement hurle :

" Je t'aime !"

Il referme la boîte.

Il a changé d'avis.

C'est son amour qu'il va lui envoyer !