Fantôme.

Ce matin, le fond de l’air est légèrement frais.
Le brouillard enveloppe de linceuls satinés les deux phares qui marquent l’entrée du port.
On les devine à peine.
Posés sur le môle Est, une vingtaine de goélands alignés, semblent figés, en bons soldats attendant un ordre qui ne vient pas.

Dans l’avant-port, la mer est calme, noire.
Au bord de la cale nord, un Fenwick est à l’arrêt près d’un camion endormi.
Deux hommes, à proximité, se fument une cigarette.

Soudain, la sirène du courrier venant du continent se fait entendre.
Semblant glisser sur un miroir, sa masse sombre déchire lentement la brume.
Assuré, il se dirige vers le quai.
Les deux hommes s’activent.
Un reste proche de la cale, l’autre se dirige vers l’extrémité du promontoire central.

Une ombre à l’avant du courrier balance une amarre que saisit le premier gars.
Il la fixe à un crochet attaché solidement par un anneau spité à la pierre.
L’amarre se tend, alors que la poupe du vaisseau chasse.

L’homme sur le promontoire jette sa touline vers le bastingage arrière du bâtiment puis récupère ainsi une amarre dont il place l’œil autour d’une bitte faite de granite.

Le bateau s’immobilise.
Les moteurs sont coupés.
Un goéland plane au-dessus de la timonerie puis se pose à côté de ses congénères tandis que le Fenwick se met à tousser en rejetant une fumée sombre.
Ses fourches se saisissent d’une passerelle métallique qu’il approche de la porte « passagers » du courrier.
Cette dernière grince sur ses gonds, s’ouvre.
Les deux hommes soulèvent la passerelle et la posent en partie basse de l’ouverture.

La grande porte latérale d’embarquement se mit à trembler de tout son corps, hésite, puis se décoche de la coque.
Par saccades elle bascule, se pose sur la cale laissant entrevoir les entrailles du navire.

Un lourd silence s’impose…

Mains dans les poches, les deux hommes à terre s’approchent.
Aucun de leurs collègues naviguant ne venant à leur rencontre, Ils marquent un temps d’arrêt, semblent surpris et interloqués.
Aucun passager ne sort.

Tout est anormalement trop calme.

Ils hésitent, alors, à pénétrer dans l’antre du vaisseau.
Voyant ce manège, le chauffeur du camion endormi, sort de sa cabine pour se joindre aux deux hommes.
- Que se passe-t-il ?
- Je ne sais pas, dit l’un des gars, j’ai l’impression qu’il est vide.
- N’importe quoi, froussards, je vais aller voir.

À peine cinq minutes passées bord, ressort le chauffeur de camion totalement hébété.
- Eh ! les gars, c’est dingue ! c’est vrai ! Il n’y a personne à bord, ni passagers, ni véhicules et pas d’équipage...


ROUSSELOT