Quelle belle journée! Je sors prendre un peu d’air.
-Bonne idée Vincent, mais fait attention à ce drôle de monsieur qui se promène toujours aux alentours, il me semble louche.
-D’accord maman, lui dis-je d’un petit signe de tête peu convaincant.
Quel soleil éclatant, les rayons s’allongent sur mon cou et me font un bien fou. J’adore prendre des marches dans mon quartier, il y a tant de gens à découvrir. Des tristes, des rêveurs, des comiques et des étranges comme l’homme au parapluie. Chaque jour il erre dans les rues beau temps mauvais temps, parapluie à la main, personne ne sait pourquoi, mais moi ça m’intrigue. Si j’en crois ma mère, il est comme les Gaulois dans Astérix, il pense que le ciel va lui tomber sur la tête, mais cette façon de voir ne me branche pas trop. J’essaierai de résoudre cette énigme plus tard. Quelqu’un m’envoie la main.

-Eh! Salut Vincent, as-tu vu le monsieur au parapluie? Il est sûrement dérangé.
-Non, je ne l’ai pas vu, il est où?
-Je l’ai croisé dans la quatrième rue. Tu veux aller le filmer?
-Non, juste lui parler. Cela ferait un bon article pour le journal de l’école.
-Lui parler? Quelle drôle d’idée! Tu ne tireras rien de cet homme, c’est un fou, c’est évident!
Faisant fit de sa remarque, Vincent salue son ami d’un geste un peu distrait, puis se dirige vers la 4E rue. Il ne tarde pas d’apercevoir le fameux parapluie qui détonne sous ce ciel ensoleillé. Plus Vincent s’avance, plus il devient nerveux. Ses mains, se cachent instinctivement dans ses poches pour qu’elles ne laissent paraître leur moiteur.
Bon, je me lance ou pas? Se demande -t-il. en s’approchant de l’homme. Et puis zut! Advienne que pourra, je brûle d’envie de savoir.
-Hum…hum… dit Vincent en se raclant la gorge. Bonjour, je me nomme Vincent et vous?
-Je n’ai pas de nom.
-Quoi? Mais tout le monde a un nom voyons!
- Et bien, pas moi! Rétorque l’homme visiblement contrarié.
Hum…ça commence mal mon entretien…. Je dois être plus diplomate.
-J’ai une question pour vous.
-Je la connais déjà.
-Alors dîtes-moi, la réponse, pourquoi portez-vous un parapluie jour après jour, beau temps mauvais temps?
-Et bien aujourd’hui, garçon curieux, je me protège des injures et des mauvaises langues.
Vincent écarte les yeux. Vous êtes sérieux? Vous me faites une blague là non?
-Pas du tout. Puis l’homme au parapluie tourne les talons sans plus un mot.
Son ami flânant pas très loin de la 4 e rue, en fait, il l'espionnait au cas où…. Vient le rejoindre, skate board à la main.
-Alors, que t’as t-il dit? T’as de quoi écrire dans le journal?
-Non, rien de consistant pour le moment, je vais reprendre mon interview demain.
-Attention, cet homme au parapluie devient une vraie obsession!
Le lendemain Vincent parcours la 4 e rue, puis la 5 e, pour enfin le trouver au parc, pas difficile à repérer! Avec tous ces pinces sans rire autour de lui et des moqueries postées aux quatre vents.
Je m’avance, et m’étonne de la sympathie que j’ai pour l’homme au parapluie, malgré ses réponses au peu sèches du jour précédent.
-Bonjour!
-Encore toi? Vas-t’en, je ne veux voir personne.
-Je vous en prie, je m’intéresse à vous ! J’aimerais écrire votre histoire dans le journal de l’école, je vois bien que vous êtes triste, parler vous ferais du bien.

Le vieil homme, cachant bien mal ses émotions soudaines, enveloppe Vincent de son parapluie, comme pour le protéger, puis l’amène dans un petit coin reculé plus loin dans le parc.
-Alors, vous voulez bien me raconter votre histoire? Pourquoi portez-vous toujours ce parapluie?
Après un grand soupir chargé de souvenirs, le vieil homme ouvre ses lèvres, hésitantes au début, puis après,franches et directes.
-Tu sais, mon garçon, ce parapluie est le dernier cadeau que j’ai reçu de ma femme. Elle est décédée il y a de cela 5 ans maintenant. Ce parapluie, c’est elle, alors je l’emmène partout avec moi. À son décès, j’ai eu beaucoup de tristesse, une telle tristesse, que je n’avais plus la force d’affronter la vie. Ce parapluie a été mon sauveteur, en me protégeant des regards des autres, de leur méchanceté et de leur incompréhension. Ce parapluie est devenu une béquille et je ne peux plus m’en passer.

-Oh, c’est une triste histoire en effet, bien loin de celle que l’on raconte ici et là. Plusieurs vous prennent pour un fou , vous savez….ce n’est pas commun de voir quelqu’un se balader avec un parapluie les jours ensoleillés et les jours de neige.
-Oui, je sais… mais ce parapluie, c’est toute ma vie. Malgré les moqueries, malgré les insultes, il représente tant de souvenirs! Elle s’appelait Lucie. Moi, c’est Luc.
-Je comprends. Écoutez, je vais écrire votre histoire de ce pas et je reviens vous la faire lire d’accord?
L’homme au parapluie baisse les yeux en signe d’accord, puis s’éloigne le cœur un peu plus léger il me semble.
Le lendemain, je reviens, fidèle au poste avec mon papier imprimé. Luc le prend, les mains un peu branlantes, puis commence à le lire.

Voici qui est l’homme au parapluie. Non, ce n’est pas un fou, qu ’importe ce que l’on pense, il est sain d’esprit, il a juste le cœur brisé suite à la perte de sa femme adorée. Ce parapluie est son bien le plus précieux, c’est le dernier cadeau que sa femme lui a fait. S’il le traîne avec lui tout le temps, c’est pour être avec elle tous les jours. C’est un homme au grand cœur, il s’appelle Luc et maintenant, il n’est plus seul, car il m’a moi.
C’est avec une petite larme aux yeux que Luc plie le papier journal avec soin puis le met dans sa poche, me fait un sourire, puis me dit à demain.

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sylvianni