L’enfant fusillé, ou les affres du Devoir
Un spectre marchait, par les fers appesanti. Il était tellement jeune et ses bras si petits Qu’on s’étonnait d’y voir d’aussi lourdes chaînes Accablant cette enfance radieuse et sereine, Forgées pour empêcher des lions de se mouvoir ! Il eût attendri les rocs, s’ils pouvaient le voir ! Ses joues étaient roses et ses mains étaient blanches, Les deux soldats qui le tenaient par les manches Avaient dans les yeux de paternelles lueurs Et de le voir tomber semblaient avoir peur. Devant lui un vieillard, encore plus pâle, Marchait, comme devant le soleil une étoile, Comme le petit ses chaînes, il portait ses chevrons. De cet ange, pourtant frêle, le radieux front Etait doux, était haut et était sublime, Il n’avait point peur et ne savait point son crime, Sa jeunesse le rendait comme les monts altier, Il souriait souvent pour ne point faire pitié Et parfois un soldat, frappant avec sa crosse Cet enfant, lui disait : « Que le diable te rosse ! Qu’est-ce qui te fait sourire ainsi, stupide gamin ? »
De loin on entendait les bruits inhumains De la foule venue voir périr ce mioche, Des enfants, comme lui, remplissaient leurs poches De pierres et de fruits pourris pour l’assaillir. Tout l’attendait et tout semblait le haïr ; Des femmes, en le voyant s’approcher, crièrent : « Fusillez ce hibou ! » « Il a tué mon père ! » Hurla une fille. « Il a massacré mon époux ! » Hurla une veuve. Un front aussi blanc, aussi doux, De tels crimes pouvait-il porter la marque ? Comme Jésus sur sa croix et Charon sur sa barque, Ce frêle condamné, auguste et silencieux, Ne daignait rien dire et contemplait les cieux. Les immondes crachats et les sombres blasphèmes, Les jurons, les insultes et les anathèmes, Pleuvaient sur ce martyr de l’humaine cruauté. « Tuez ce chouan, ce gueux de la royauté ! » Criait le peuple, comme s’il était un seul homme Courroucé et haineux. Soudain, le fantôme Qui marchait devant cet enfant qui va mourir Ordonna : « Silence ! » et on vit obéir La Populace, cette hydre difforme et infâme. Il se tourna ensuite vers le captif, et blême Lui dit : « Citoyen, au nom de Dieu et du Roi Vous avez bravé la République sans effroi. Pour vous défendre avez-vous quelque chose à dire ? » Le brave enfant, avec un fier sourire, A son bourreau tremblant sans trembler répondit : « Oui. Vive le Roi et soyez tous maudits. » Et fut fusillé quand il termina sa phrase. Pareil à un flambeau que la flamme embrase, L’homme qui lui parlait, pourpre et pâle comme la mort, Tremblait toujours. « Sergent, avez-vous des remords ? » Lui demanda un soldat à la mine fière. « J’ai fait tuer mon fils » répondit le père.
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