Avec mes six dizaines d’années
Qui se sont à tir d’ailes envolées
En rudes hivers printemps fleurés
Tristes automnes et radieux étés
Elevé dans la campagne aérée
Et les beaux rivages ensoleillés
Épris de la mer et son eau salée
Du bruit de ses vagues ondulées
De la ligne de l’horizon enchantée
Du lever de soleil à l’aurore annoncé
Entiché par la campagne et ses prés
Ses rivières ses orées et ses forêts
Aujourd’hui loin de ce que j’étais
Les cheveux livides grisonnés
Frises à reflet blanc argenté
A l’aide de mes doigts peignés
En touffes toujours défaits
Telle une vieille toile d’araignée
De si longtemps abandonnée
Front saillant légèrement bombé
Les rides sinueuses et étirées
Empreinte du temps si pressé
Les yeux couleur marron foncé
Regard perçant toujours éveillé
Les joues pommettes voutées
Reflétant toute la bonne santé
Les mains osseuses à veines enflées
Maniant avec art le pinceau et l’épée
Les ongles à fleur de peau rognés
Timbre vocal à la Tino que j’aime imiter
Le cœur ouvert débordant de bonté
D’un amour pour autrui exhalé
L’esprit brillant par la foi illuminé
Et par les étincelles de la curiosité
Encouragé et inlassablement activé
Mais le temps est précocement passé
Corps et esprit sidérés par sa rapidité
Générant en moi une marée de remords
Envahit d’effroi par la peur de la mort,
Sous le poids de mes lourdes années
Mon corps a aussitôt fini par céder
Dans les souvenirs du temps effacé
Je vies l’instant présent sans passé
Moments de vérité de rêve dénudé
Que je n’arrive plus à supporter
Je voudrais fuir et me refugier
Mais par quel chemin m’évader
Oublier le passé et tout abandonner
Sans espoir de semer ni de récolter
J’ai la phobie du chemin d’arbres bordé
Menant jusqu’au seuil du cimetière
Avant l’entrée dans le royaume chimère
Je ne me soucis plus de mon avenir celé
Mais flétri par mon long et lointain passé
Ce passé que j’ai déjà de très loin devancé
Gisant dans son caveau inanimé et enterré
Sans doute plus jamais il ne se ressusciterait
Je ne sais dois-je attendre, avancer ou reculer
Je ne suis plus au bas mais bien au sommet
Je ne m’effraye pas et je ne me presse pas
Je reprends mon souffle et allège mes pas
L’avenir est dans ce court laps de temps désigné
Dans lequel je serais mort mis en bière et enterré
Quant à mes jours restants ils sont là devant moi
Au bout du nez en détail mais je ne les vois pas
C’est ce très court chemin qui me mènera un jour
À ma dernière demeure pour toujours et sans retour
Dans un beau cercueil affreux et sombre de l’intérieur
Sur lequel on déposera peut-être une couronne de fleurs
Dans un cortège funèbre en bonne forme et de bonne foi
Où l’on conversera incontestablement de tout sauf de moi
C’est la juste vérité comme devant un miroir je me vois
Mes proches mes amis regrets en cœurs et yeux en pleurs
Se souviendront de moi durant le temps de vie d’une fleur

Que me reste-il encore à fuir ?

Mon ombre ce vil épouvantail ce fantôme sans âme
Ce membre qui me suit se faufile sans bruit ni trame
Il ne me quittera jamais même dans les espaces clairs
Et sûrement aussi dans les lieux sombres sans repères
Mais m’abandonnera bien à l’entrée du tombeau
Car au-delà il n’y a aucune lumière ni air ni eau
Mes ennemis que j’ai essayé d’en faire mes amis
Mes amis qui sont devenus d’incrédules ennemis
C’est vrai ils sont là embusqués sans aucun bruit
Ils combinent avec perspicacité le mal jours et nuits
Je dois les éviter et dresser mon courage en veille
Désorienté je ne sais ou se trouve la lune ou le soleil
Lune qu’on a métamorphosée en multiples croissants
Pour servir de symbole des emblèmes rouges d'orient
Et ce soleil qu’on a caché je ne sais à l’aurore où à l’horizon
Je le cherche dans les débris de mon aveugle miroir brisé
Et dans les vastes plaines des glaneuses à échines courbées

Exténué je vais fermer les yeux et m’endormir pour monter dans les cieux
Je volerai comme un ange de lieu en lieu jusqu’au jour de paix devant Dieu.

Adieu