LA CAMPAGNE

A l’aube le cocher donne enfin le signal
du départ,
secouant les rênes de ses chevaux agiles
et hagards,
les fouettant et leur criant : hue ! avec force
et sévérité
Les deux chevaux noirs se cabrent, mordent le mors,
plutôt entêtés
puis tirent le chariot au pas, lents, indolents
et presque apaisés
Chariot où s’entassent des meubles que le temps
a un peu usés,
plusieurs nattes, des jarres et des baluchons ronds
et volumineux
Sortis des remparts par la rue des forgerons,
quelque peu nerveux
ils prennent vite le trot vers le Nord-Ouest
Quelle agréable trotte !
Nous étions assis, au reste agrippés et prestes,
perchés comme des chattes,
comblés de joie à l’idée de passer entières
les vacances d’été
là-bas, c'est-à-dire à la campagne que père
et mère convoitaient
surtout pendant l’été
car il y avait de grands vergers avec des vignes,
et des figues sucrées, des amandes, du jasmin…,
le zéphyr enivrant et les jeux des enfants
assoiffés de plein air, de course et cerfs – volants




Toute la journée nous ne faisons que courir
jouant à la roue, au voleur et policier,
ou fabriquant des charrettes en miniature
avec des feuilles de cactus en armature
et des tiges. Nous jouons aussi à l’épicier
Les cerfs-volants nous prennent énormément de temps et d’énergie
D’abord : découper avec art des pages de vieux journaux jaunies,
en faire une longue chaîne dont les maillons égaux et flétris
tiennent par les épines pointues de cactus ou la glue bouillie
Mon frère, de deux ans mon aîné, moi-même avec nos deux copains
tous prenons soin de confectionner la tête du cerf-volant
en papier en forme de losange, des tiges le renforçant,
attachée à une longue ficelle enroulée en peloton
Et voilà le tour joué. Montés sur le toit de la maison ,
le tenant à tour de rôle par la ficelle du le cerf-volant,
lui lâchant la bride tout doux en déroulant le peloton,
nous le regardons majestueux serpenter au gré du vent
Nous ressentons fierté et grande joie à le faire voler
dans les cieux et survoler les dattiers -palmiers et les allées
C’est comme si nous l’accompagnions dans son voyage téméraire
et embrassions avec lui du regard la campagne tout altière
Longtemps l’homme avait rêvé
avec passion de voler,
de vaincre la pesanteur
comme les êtres ailés
Le mythe du tapis volant serait entre autres
porteur du désir de s’arracher à la terre
et de dominer comme maître l’atmosphère







L’enfant,cet homme en herbe, trouve dans l’invention
du cerf- volant un détour à cette passion
qui le taraude et le fait rêver à l’instant
Un tel rêve éveillé ne puise-t-il pas sa force présente
dans l’imaginaire qui transcende le désir et l’attente ?


Le retour en ville se fait de bonne heure,
les yeux somnolents et lassés de partir,
le coeur plein de nostalgie et souvenirs
Nous laissons à la campagne nourricière
nos jeux et notre âme enfantine et folâtre
et retrouvant notre chemin vers l’école,
le vieil encrier et l’odeur de la colle,
le tableau noir et les tables coutumières,
rêvant pourtant d’un nouvel été prospère
et de son temps de liberté familière
Mahmoud

10-23/7/2008