Cinq kilomètres à pieds
Je me souviens encore, alors que je suis vieille,
Du premier pique-nique qui ouvrait la saison.
Dans une profusion de vivres et de soleil,
Nous prenions un chemin tout près de la maison.
Ni auto ni vélo avec quoi arpenter
La longue route raide menant au paradis ;
C’est à pieds qu’il fallait savoir le mériter
En tirant la carriole sur roulements à billes.
Ivres d’air et de joie, nous chantions à tue-tête
Sûrs que cette journée serait enchanteresse.
Nous marchions d’un bon pas, attendant cette fête
Comme le Roi attend d’admirer ses richesses.
« Cinq kilomètres à pieds, ça use, ça use,
Cinq kilomètre à pieds, ça use les souliers »
Mais moi très fatiguée, je trouvais une ruse,
Pour que les miens au moins soient économisés.
Perchée sur les épaules dures et robustes
De mon petit papa qui marchait vaillamment,
J’observais de la-haut, redressant haut mon buste,
Le signal qui menait enfin au grand moment !
Un écrin de verdure, d’arbres géants et fiers
Se mirant dans trois lacs aux reflets gris argent
Nous accueillaient comme les bons dépositaires
De coutumes sacrée gardées passionnément.
Le pique-nique enfin allait se dérouler !
L’endroit était divin, l’ombre dense, apaisante ;
Une nappe à carreaux, sur le sol étalée,
Promettait un festin. Insupportable attente !
Quel plaisir ces saveurs douces ou relevées
Ces tourtes et ces pâtés, tartes et oreillettes
Ces boissons au coco anisées et sucrées
Ces sardines en scabèche, délicieuses recettes.
Qu’il est loin ce temps-là où un enchantement
Naissait de petits riens, charmante mosaïque
De bien minces bonheurs, de paisibles moments,
Faisant une merveille d’un simple pique-nique
Jeannine
Juin 2010