Sérénade arabe
Ă”, toi, ma belle au voile Ă©pais et noir,
Toi qui m’éblouis ! Ne veux-tu pas savoir
Ce que tu as fait à mon cœur, ma dame ?
Quand tu pars, je rĂŞve de te voir revenir,
Et ton regard, comme un radieux souvenir,
Est resté dans la nuit de mon âme !
Quand je vois voler ton pied blanc et leste,
Je te suis, et je rĂŞve que tu restes ;
Reviens ! Ressuscite le cœur que tu fuis !
Mon âme t’adore et ma bouche te chante,
Car tu reluis, Ă´, ma charmante,
Comme une douce Ă©toile, dans ma fatale nuit !
Quand tu me quittes, frivole comme l’illusion,
Tel le devin qui sonde une vision,
Je sonde mes rĂŞves pour voir ton image !
Daigne donc descendre Ă mon enfer !
Ne serais-je qu’un esclave, sois le fer ;
Ne serais-je qu’un désert, sois le mirage !
Tu châties mon amour avec ta haine,
Oh ! Descend à ma pâle géhenne,
Ou laisse-moi monter Ă ton paradis !
Console un amant dont le cœur souffre,
Pour qui l’immensité est comme le gouffre
Et qui erre, seul, dans l’univers maudit !
L’Amour avec tes regards fait ses flèches,
Les cordes de son arc avec tes mèches,
Et remplit de tes sourires son carquois !
Dieu t’a créée, reine des féeries,
Pour ramener le monde à l’idolâtrie
Et le poète de la ville aux bois !
Une fois, tu m’as regardé. Oh ! Rien qu’une !
Et j’ai vu tomber, sur mon infortune,
Ton Ĺ“il doux, plus radieux que le soleil !
Errant loin du monde éphémère,
Je me suis cru enfant et toi une mère
Qui berce doucement mon vaste sommeil !
Une fois, en marchant comme une déesse,
Tu fis tomber un cheveu de tes tresses
Et moi, je ramassai ce doux billet !
Je le garde encor, sur mon cœur qui brûle,
Ce noir talisman que mon âme adule,
Que je ne puis lire et n’ose déplier !
Daigne donc m’aimer ! Mon cœur, plein de flamme,
Tremble quand tu passes, radieuse femme,
Devant mes yeux éblouis par ta beauté !
Oh ! Tu me subjugues et tu m’alarmes,
Je ne cesse de soupirer pour tes charmes,
Comme l’oiseau qui ne cesse de chanter !
Pourquoi, malgré la nuit de mon cœur en deuil,
À tant d’amour opposer tant d’orgueil ?
Pourquoi faire souffrir un poète qui t’aime ?
Ô, cruelle déesse au sourire blanc !
Aime-moi, ou alors fais-en semblant,
N’opprime point mes vers par tes anathèmes !
Laisse-moi t’aimer et aime sans épouvante !
J’irai parler à ton père sous sa tente,
Ce soir, quand la nuit ploiera l’univers ;
Je lui dirai que je ne puis vivre
Sans vous, que votre beauté m’enivre,
Que tous mes jours sont sans vous des hivers !
Je dirai à cet homme vénérable :
« Sans votre fille je suis misérable ;
Pour elle, je vous donnerai tous mes chameaux,
Tout mon or, et mon âme sera ravie !
MĂŞme si, pour ses yeux, je donne ma vie,
Je la donnerai, sans regretter ses maux ! »
Ou alors j’irai, pleurant loin des jours,
Devant le cher tombeau de mes amours ;
J’irai, chaque nuit, devant ta demeure,
Chanter mes ennuis et me lamenter,
Jusqu’à ce que le ciel épouvanté
Daigne consoler un poète qui pleure !
J’irai dans le désert où, sans frémir,
J’écouterai, la nuit, les lions rugir,
Jusqu’à ce que ton regard me pardonne !
J’irai là où la vie semble mourir,
Où on voit nulle fleur le matin s’ouvrir,
OĂą la nuit est profonde et monotone !
Et si je meurs, n’en accuse que tes yeux,
Tes yeux divins, noirs et pourtant radieux !
Je serai ton martyr, ô, ma déesse !
Cependant je loue ton autorité,
Ta douceur comme ta sévérité,
Et ta cruauté comme ta tendresse !
Dans mon âme tu rayonnes, douce créature,
Comme le soleil rayonne dans la nature ;
Chaque regard que tu m’envoies est un dard
Qui me remplit d’une exquise blessure !
De ton œil je bénis la flétrissure
Qui condamne à t’aimer mon cœur hagard !
Oh ! Tandis que le soir, doux aux caprices,
Tandis que la nuit, aux amants propice,
S’appesantissent sur le noir Sahara,
Fuyons, sur la nef de la Fortune,
Tous ces regards qui nous importunent !
Car Dieu dit à l’homme : « Tu aimeras ! »
Et à la femme : « tu seras aimée ! »
Et c’est Dieu qui ,dans mon âme affamée,
Verse de ton amour le nectar blanc
Dans la coupe de mon cœur, longtemps vide,
Et qui, chaque fois que brille ton Ĺ“il limpide,
En illumine doucement mes chants tremblants !
C’est Dieu qui t’a créée et qui m’inspire
Tous ces beaux vers que chante ton sourire
À mon âme amoureuse de ta rigueur !
Et il me dit : « Ma loi n’est point trop dure ;
Je remplis les sillons de verdure
Et de son amour je remplis ton cœur ! »