Re: De belles années.... Merci
A Flamandine, Acheudet, Richards, Symphonie50, Chandylane, Eolienne, Sympatique, Delph, Lilas9, Touareg, Badawi, Yoledelatole2, Franie, Daniel.
Merci pour vos très gentils commentaires, qui feront plaisir à Marie-Noëlle quand elle viendra en visite pour voir ce poème.
C’est une histoire toute simple, mais une histoire merveilleuse. L’histoire d’une osmose, d’une symbiose intellectuelle entre deux personnes qui se complémentent. Marie-Noëlle a été plus qu’une technicienne, plus qu’un bras droit. Je me souviens de quelques anecdotes qui situent bien la complémentarité que nous avions :
Elle m’apporte toute une série de feuilles de tableaux et de graphiques sur des expériences : Je regarde avec attention tout cela. Mon crayon s’arrête sur quelques chiffres du tableau, ou une colonne, sur un point du graphique. Nous échangeons un regard, pas besoin de mots. Le message est passé. Elle a compris ce qu’il fallait revérifier ou refaire. Nos idées et nos réflexions suivaient exactement la même voie. On savait où on allait. Elle me faisait une entière confiance et moi aussi. Elle savait qu’elle pouvait soulever des montagnes et elle l’a fait. Je savais qu’elle en était capable et je l’ai encouragée sans limite.
Nous avons eu aussi des discussions disons « sévères » quoique très rares et toujours très courtoises, mais elles étaient nécessaires, car toujours motivées par le désir de faire mieux. Elle m’a apporté énormément d’idées, car elle connaissait ses modèles expérimentaux comme sa poche. Aucune anomalie ne lui échappait, et elle n’avait de satisfaction réelle que quand elle en avait trouvé la solution.
J’avais réussi à lui faire obtenir en 1978 un stage d’une semaine dans un des plus grands laboratoires de Biologie Cellulaire de l’époque, à Copenhague. A cette époque, envoyer une technicienne en stage à l’étranger au frais du laboratoire relevait de la gageure. Une semaine d’immersion dans un milieu scientifique dont le niveau n’avait rien à voir avec celui de notre petit labo. J’y étais en stage depuis trois mois. Nous y avons travaillé ensemble pendant sept jours, et je crois qu’elle n’a jamais oublié cette expérience, car elle a découvert dans ce labo que rien n’était impossible à celui qui voulait vraiment. Et quand nous sommes revenus en France, plus rien n’a été pareil.
Je me souviens des instruments de mesure allumés très tôt le matin et éteints tard le soir, des ordinateurs primitifs (pas à cette époque : des Apple II) qui chauffaient à faire cuire un œuf car ils calculaient toute la journée. On élaborait la plus grande partie des programmes nous-mêmes et pour les choses très compliquées, nous avons fait appel à un programmeur amateur, mais très qualifié. Nous avions des programmes que nous étions seuls à posséder et qui nous donnaient des avantages pour interpréter nos résultats.
Marie Noëlle était un petit bout de bonne femme, mais énergétique comme une bombe, et je l’appelais « Pomme, pomme, pomme » ou « Three Apple » parce qu’elle était haute comme trois pommes. Et elle n’a jamais pris cela pour une moquerie. Elle savait exactement ce que je pensais d’elle.
Mes dernières années de carrière, j’ai eu l’occasion de voir comment les choses avaient changé entre les chercheurs et leurs techniciens, voire avec leurs étudiants. Je n’ai retrouvé une réelle complicité qu’entre les gens de mon âge. La nouvelle génération avait totalement gommé cet aspect relationnel qui s’avère si important pour une bonne efficacité de la recherche. J’ai vu des chercheurs communiquer avec leurs techniciens ou même étudiants qui étaient dans la même salle qu’eux, voire le même bureau, uniquement par échange de mails. J’ai vu aussi des chercheurs qui ne pouvaient pas se résoudre à prendre leur repas à la cantine avec leurs techniciens, mais uniquement avec leurs égaux. Comment arriver à faire donner à une personne le meilleur d’elle-même dans un système aussi déshumanisé. Comment arriver à instaurer une confiance dans ces conditions, une confiance qui fait que le technicien ou l’étudiant, s’il se rend compte d’une erreur commise, viendra le dire tout de suite, au lieu de la cacher pour éviter un savon. On apprend beaucoup plus par ses erreurs que par ses réalisations sans histoires. Ce sont des erreurs ou des résultats inattendus qui ont mené aux contributions les plus originales.
J’arrête là mon bavardage qui est devenu d’une autre époque, une époque où on acceptait de travailler en groupe réellement et de n’être qu’un petit rouage anonyme d’une énorme machine. Notre plaisir était que le « tous ensemble » mène à quelque chose de bien, sans penser forcément carrière ou pouvoir. Ce n’est plus le cas aujourd’hui où l’individualisme forcené est enseigné dès le plus jeune âge.
Merci encore Marie Noëlle, et toute ma reconnaissance.
Amicalement et poétiquement à tous.
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Science sans conscience n'est que ruine de l'âme (Rabelais)