La dernière lettre...
La dernière lettre.
Elle surgira derrière un secrétaire
Tel un fleuret à main de mousquetaire
Poussiéreuse veloutée toute gondolée
On aura bien du mal à savoir la déchiffrer
Il faudra vite quérir aieule
Car à comprendre elle sera la seule
De sa voix chevrotante et des ses yeux bleus fanés
Elle énoncera ces paroles surannées
Caressant presque avidement ce papier
Comme maîtresse au retour de son guerrier
Et en ces fragiles mains de soie
Cette lettre comme biche aux abois
Bondira en quelque cœur ému
Souvenir des forêts aujourd’hui disparues
Mémoire d’un temps où papier donnait vie
Où les livres chantaient tels merveilleux amis
Les machines peu à peu de leurs pas de géants
Avaient volé les cœurs et propagé néants
Les écrans les plasmas les fils les ondes folles
Ils avaient étouffé les siècles en farandole
Ne demeuraient que les communications virtuelles
Même les écoles pour le savoir furent cruelles
Et lorsqu’après la Bombe le monde retentit
Des timides survies des insensés maudits
Ce furent les ventres et les terres que l’on privilégia
Et bientôt les cultures écrites on effaça
Plus jamais de lecture poésie plus jamais
Hugo Racine Sophocle et même Rabelais
L’homme redevint primate
C’est la faute à Socrate
Les histoires disparurent et aussi les mémoires
Le passé soudain ressembla à quelque grand trou noir
Mais un jour en Taïga ou peut-être en Afrique
Et même des deux côtés de ce vieux Pacifique
Des enfants commencèrent avec terre à jouer
Ils riaient et tentaient une règle de jeu de fixer
Leurs mains et les bâtons tracèrent dans le sable
La naissance espérée de cette ancienne fable
De ce don naquirent à nouveau des traces et des désirs
L’écriture engendra des mondes à conquérir
Papyrus tablettes d’argile et même parchemins
Les lumières passées enfin ouvraient destins
Et tout recommença…
Mais nous ne serons plus là .
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"Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue:
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler:
Je sentis tout mon corps et transir et brûler."
Racine, "Phèdre"...