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Épître, Déjanire à Hercule (inspiré du chant IX des Héroïdes d'Ovide) Épître, Déjanire à Hercule Plus tibi q Iuno nocuit Venus : illa premendo Sustulit. Hæc humili sub pede colla tenet. (Publius Ovidius Naso)
Ta gloire égale ma mélancolie, Ô, Hercule ! Le nom odieux d’Œchalie Où aujourd’hui, vaincu et vainqueur, Ton bras est déshonoré par ton cœur, M’épouvante, ô, bruit à ton nom funeste ! L’on dit que le fils du dieu céleste Qu’une nuit n’a point suffi pour enfanter, Que celui qu’on a vu épouvanter La Macédoine, Thessalie, Sparte et Thrace, Et dont le bras valeureux terrasse Les dieux, ses frères, dans l’Olympe élevés, Par le Foudre de leur père sauvés ; Que celui dont tout l’univers tremble, Le vaillant Hercule, que mille hommes ensemble, Ne peuvent vaincre, et qui brava les Enfers, Courbé aux pieds d’Iole, bénit ses fers ! Toi qui vainquis Héra et Eurysthée, Pour cette indigne fille d’Eurythée Que le vent jusqu’à tes bras emporta, Et qui, fière de sa victoire, te dompta, As-tu osé soupirer, coupable ? Si les larmes d’une épouse misérable N’émeuvent point ton cœur prompt à oublier, Pour ton nom et ta gloire sois inquiet ! Aphrodite, plus qu’Héra, te fut fatale ! Elle t’humilia, héros au front pâle, En remuant son aile, livide guerrier, De ta tête elle fait choir les lauriers Et elle fléchit ton bras redoutable ! À ton nom Héra fut plus équitable ; En t’opprimant elle te rendit glorieux. De sa vengeance les arrêts furieux Te firent illustre. De sa sœur la haine À des fers ignominieux t’enchaîne ! Ô, vois l’univers à tes lois soumis ! Souviens-toi du nombre de tes ennemis ; Souviens-toi du nombre de tes victoires ! Ô, Hercule ! Ne fais point pleurer ta gloire Comme tu fais pleurer ta femme aujourd’hui ! Comme le soleil qui dans l’azur reluit Dans tous les cœurs, dans toutes les âmes, Les poètes, dans des vers pleins de flamme, Chantent tes travaux. Comme des Olympiens, Le monde, qui loue ton nom, se souvient De l’Hydre par ton bras anéantie, De Cerbère que tu vainquis, d’Erythie, Du Stymphale, d’Hippolyté, de Géryon ! Toutes les mers qui virent briller ton rayon Te bénissent et à tes voiles furent propices ; La terre te loue. Pour toi, les sacrifices Comme pour les dieux, fument au pied des autels. Comme Atlas, tes bras portèrent le ciel Qui dans ses bras portera ton ombre. Souviens-toi de tes exploits sans nombre ! Dans ton berceau qui te porta enfant, Tu étouffas, dans tes bras triomphants, Les deux serpents qu’Héra mit dans ta couche, En bravant sa vengeance farouche, Et homme, te voilà d’une femme le captif ! Comme l’onde qui grandit sur le récif Se brise, te voilà brisé, sans armes, À la place du sang versant des larmes, Au pied de ton amante, malheureux ! Sans écouter mes soupirs douloureux, En me voyant l’on dit : « Qu’on recule ! Voici venir l’épouse d’Hercule ! » Ô, funeste hyménée ! Ô, triste honneur ! Je porte le fardeau de ta grandeur ; Ton nom est radieux. Le mien, qu’on oublie, Est sombre. Bien qu’à toi l’hymen me lie, Tu es un mont ; je ne suis qu’une fleur. Ô, femmes, qui ne voyez point ma pâleur, Vous m’enviez, mais que je suis à plaindre ! J’aime Hercule. Mais puis-je ne point le craindre Quand il vient, du sang d’un monstre couvert, Content de braver mille périls divers, L’œil encore farouche, cacher sa lame, Et embrasser, vainqueur, son humble femme ? Les dieux aux hommes ne sont point pareils. Comme éblouie par les rayons du soleil, En le voyant je baisse ma prunelle. Toutes mes nuits me semblent éternelles, Car dans ma solitude j’attends toujours De mille terres inconnues son prompt retour ! Il vient comme un hôte à sa demeure Et ne console point son épouse qui pleure Et tremble pour son infidèle époux ; Qui pour lui implore les dieux à genoux En songeant aux périls qui le menacent ! Hypnos ne ferme point ma prunelle lasse Dont tu ne vois ni l’amour ni l’émoi ; Hyllos est loin de Trachis et de moi. Captive, cette solitude me blesse, Le courroux d’un homme et d’une déesse Dont tu braves l’inimitié, me poursuit, Et mes jours sont tristes comme mes nuits ! Et toi, que fais-tu ? Ô, infidèle ! De mille femmes épris, tu emploies ton zèle, Ton zèle criminel, pour m’outrager ! D’Omphale qui t’humilia et d’Augé, De Mégara, mère malheureuse, De Lavinia de toi amoureuse, D’Astyoché, de l’impure Fabula Qui jusqu’au mont Palatin t’appela, De la fille d’Urménus par toi bénie, Des filles de Theutra et d’Ionie, Je me souviens. Tu n’as point honte, héros, D’être de mon cœur le sombre bourreau. Le ciel qui t’envoie, et le Méandre Rougissent de te voir, comme une vierge tendre, Toi, fils de Zeus, qui bravas mille dangers, Dans un lit à ton hymen étranger, Dormir en respirant une rose ! Cette peau que sur un sein blanc tu poses Est la tienne, ô, lion par une femme dompté ! Tes victimes eussent rougi de ta lâcheté ; L’Hydre de Lerne et le Taureau de Crète En voyant ce héros que rien n’arrête Aux pieds d’une maîtresse soupirer ! Ô, Hercule ! Osant me déshonorer, Sous mon toit tu amènes ton amante, Femme effrontée, impure, mais charmante Que ton amour ose confier à mes soins ! Ah ! De m’offenser tu ne rougis point ! Pourtant, infidèle, tu m’as aimée ! Maintes fois, sur ma chevelure parfumée, Tu te penchas, amant au front radieux, Ô, mon époux, ô, mon roi, ô, mon dieu ! Sur l’autel de ton amour, sans faiblesse, J’ai sacrifié ma douce jeunesse Et de mes années fait fumer l’encens ; Ô, je m’endormis sur ton cœur puissant Tant de nuits, pareilles à tant d’aurores, Ma bouche murmurant ton nom encore ! Pour moi – n’en rougis point – époux vaillant, Tu affrontas jadis deux assaillants, Achéloüs, le père des Sirènes, Et le noir Nessos. Ta bravoure souveraine Et ton bras puissant les firent faillir. Ah ! Pourquoi donc aujourd’hui me haïr ? De mon amour châties-tu le crime ? Amante, faut-il que je sois victime ? Reviens, ô, mon doux Hercule ! Reviens À mon cœur qui de tes vœux se souvient, À mon cœur amer que rien ne console Hormis tes caresses et tes paroles !
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