ONCLE IBRAHIM (Nouvelle)
Il y avait, il y a cinquante ans, dans une ville de France (…) un Turc, assez âgé, appelé Ibrahim, qui tenait une épicerie au rez-de-chaussée d’un immeuble dont l’un des
appartements était habité par une famille juive.
Jad, enfant de sept ans, descendait quotidiennement pour faire l’emplette à sa famille chez oncle Ibrahim, mais chaque jour, il trouvait l’occasion facile pour subtiliser au vieil épicier un petit bonbon au chocolat.
Mais un jour, Jad oublia, non comme d’habitude, de chiper la friandise. A peine eut-il franchi la porte de la sortie, le Turc l’appela et lui rappela, en clignant les yeux, qu’il n’avait pas pris la douceur de ce jour et lui demanda, de bon cœur, d’en avoir une.
Le pauvre enfant fut honteux et surpris car il croyait qu’oncle Ibrahim ne s’était aperçu de rien. Il se tortilla de remords et le supplia de le pardonner en lui promettant de ne lui jamais voler le bonbon fourré de chocolat.
Mais avec un large sourire, l’épicier lui dit :
-« Non, non, tu dois me promettre plutôt de ne plus voler quoi que ce soit, durant toute ta vie, et tu auras chaque jour ton morceau de chocolat… ! »
-« C’est promis, oncle Ibrahim ! », répondit Jad, soulagé.
Les années passèrent... . Le vieux était pour l’enfant, devenu jeune endurci, à la fois ami, père et refuge. Ainsi, chaque fois que celui-ci avait un problème qui le tracassait ou se sentait peiné, il se rendait à son confident qui lui demandait à chaque fois d’ouvrir, au hasard, un livre qu’il tenait jalousement à l’intérieur d’un tiroir dans son magasin. Il lui en lisait les deux pages ouvertes puis, il le fermait et le remettait là où il était. Aussitôt, Jad trouvait la sérénité et la paix, et la joie inondait lumineusement son cœur et son visage ; tout ce qui le gênait y trouvait miraculeusement baume et solution.
Dix-sept passèrent... . Le jeune israélite avait alors vingt-cinq ans et oncle Ibrahim, le Turc musulman, âgé et illettré, atteignait les soixante-sept, pourtant, leur amitié était plus que jamais indéfectible.
Le vieillard mourut après avoir laissé une malle fermée, que ses héritiers donnèrent, conformément au testament, comme cadeau, au jeune juif qui n’en savait rien. Elle contenait le livre dont il lui lisait les deux pages fortuitement indiquées.
Les fils du défunt informèrent Jad du décès de leur père et lui donnèrent la mallette. La mort de son compagnon le foudroya et la tristesse le lacéra. Qui pourrait désormais le sortir de sa torpeur et lui donner confiance et assurance. Bref, l’élixir de la vie d’espérance ?
Et les années passèrent…. . Un jour, le jeune homme eut un problème et oncle Ibrahim lui maqua inexorablement ; il eut fort besoin de son tuteur et copain. Mais la chance lui mit, sur la route de son errance, un Tunisien, qui aussitôt prit connaissance de l’inextricable lien humain et spirituel du jeune juif et du vieux turc. Ainsi, il se proposa de l’aider en lui demandant d’apporter l’inestimable legs que lui avait laissé son feu ami : dans le coffret, il y avait le même livre que le jeunot ouvrait et que le vieillot lui lisait. Le Tunisien fit la même chose avec le juif en lisant les deux pages et, comme par enchantement, les soucis et les maux s’en allèrent.
L'israélite fut sidéré, quand il apprit que ce livre-là est le Saint Coran, le livre des musulmans. Ses yeux brillèrent de joie en demandant comment faire pour se convertir à cette religion. Alors le nouvel ami tunisien lui en apprit les cinq piliers : (1- La profession de foi : « Achada », en témoignant qu’il n’ y a d’autre dieu que Dieu et que Mouhammad est le messager de Dieu. 2- la prière : 5 fois par jours en direction de la Qibla. 3- La zakât (l‘aumône ou la part de Dieu), donnée annuellement aux pauvres par les riches pour raffiner leur richesse. 4- Le jeûne : s’abstenir de manger et de boire pendant tout le 9ème mois lunaire, appelé Ramadan, pour réprimer la luxure et les désirs pour se purifier corps et âme dans l’espoir d’obtenir le pardon de Dieu. 5- Le pèlerinage à la Mecque, une fois dans la vie, pour celui qui en a les moyens physiques et matériels, pour une ultime purgation totale).
Jad, le juif, prononça la « chahada » et se conforma, par conviction, aux quatre autres commandements en se choisissant un nom : Jad-Allah le Coranique .Il décida tout de suite de se consacrer à ce livre saint, le restant de sa vie, en apprenant à le lire, à le comprendre et à répandre ses valeurs morales, humaines et sociales dans les quatre coins du monde, et grâce au Seigneur et à lui-même, plus de six mille juifs et chrétiens se convertirent à l’Islam.
Mais voila qu’un beau jour il ouvrit la copie du Coran d’oncle Ibrahim pour trouver la
carte de l’Afrique signée par la propre main du défunt et en bas de page, il écrivit le verset : « Appelle à la voie de ton Dieu par la sagesse et la bonne recommandation. »
Il comprit que c’était le message que le bon vieux sage lui avait laissé et décida de le faire parvenir aux ethnies et aux peuples africains, dont bon nombre étaient encore animistes, satanistes, athées ou païens.
Alors, il quitta l’Europe et alla en Afrique prêcher au Kenya, au Sud du Soudan, à l’Ouganda et aux pays voisins, vastes terres, prêtes à sa prédication. Son action fut un
brillant succès : la conversion toucha près de six millions de ces populations.
Après près de trente ans passés au service de la nouvelle religion, et à l’âge de cinquante-quatre, Jad-Allah rendit l’âme en 2003 à cause des maladies tropicales qu’il avait attrapées là -bas.
Mais attendez, l’histoire n’est pas finie…
Sa mère, professeur universitaire et attachée, à la limite de l’extrémisme, à sa religion, le judaïsme, proclama son islam, à l’âge de soixante-dix ans, deux ans après la mort de son fils.
Elle raconta que, durant les trente années pendant lesquelles son fils se vouait à l’islam, elle luttait avec acharnement pour le ramener à sa religion, mais elle échoua fatalement, malgré son érudite connaissance, sa large expérience en éducation et sa puissance de persuasion, devant l’oncle Ibrahim ce vieux turc musulman, sans instruction, qui est parvenu, lui, Ã
accrocher le cœur de Jad ou Jad-Allah à l’ultime et universelle religion.
(Histoire réelle, adaptée au cinéma et exposée comme film dans le monde entier).