Le ciel, à présent, s’illuminait de toutes parts. Les oiseaux s’étaient mis à chanter. Dans l’air naissait une douceur nouvelle.
Une étrange émotion faisait vibrer le cœur de l’enfant. Et si cet homme, c’était…
« Papa ! » souffla Cédric, le visage tourné vers
son compagnon de route, « je voudrais te demander… »
« Attends, mon fils, pas maintenant, pas tout de
suite : il nous faut encore escalader cette colline »
Et ils se remirent en route, côte à côte, le père réglant ses pas sur ceux de son fils, unis dans une complicité nouvelle, non plus celle des héros mais celle qui lie un père à son fils.
Au sommet de la colline, d’un ample geste des bras, l’homme montra le paysage qui se déployait devant eux : pas de jungle à la végétation luxuriante, dissimulant bêtes féroces et sauvages assoiffés de sang ; pas de brontosaures venus d’un autre âge ; pas de poursuites effrénées dans des voitures aux occupants avides de tuer ; pas d’aventures héroïques à partager avec un héros de papier, non, rien de tout cela, mais une vallée riante et fleurie, traversée par une rivière argentée ; des prairies à perte de vue, des vaches paisibles et des chevaux fougueux secouant leur crinière dans la rosée matinale; çà et là , des fermes et des maisons aux toits rouges que la vie peu à peu réveillait.
Debout aux côtés de son père, la main fermement agrippée à la sienne, Cédric admirait tout cela, sans réserve.
Que lui importaient encore les trophées de chasse, les poursuites, les aventures dont il avait si souvent rêvé ? Seul comptait cet instant magique des retrouvailles entre un enfant et son père disparu.
« Tu vois, fils, » dit le père, « c’est ici que nos
chemins doivent se séparer ; un jour tu viendras me rejoindre ».
« Oh ! Papa, laisse-moi continuer avec toi, »
protesta Cédric. « Nous venons à peine de nous retrouver ! »
« Pas maintenant, mon fils, c’est encore
beaucoup trop tôt : il te reste tant de chemin à faire ».
Cédric demeura un instant muet et immobile ; un soupir, une souffrance, un sourd désespoir lui faisait mal dans la poitrine…
« Papa, » supplia l’enfant…
L’homme lâcha sa main, se pencha sur lui et l’étreignit brièvement, puis il descendit rapidement vers la vallée, sans se retourner. Sa silhouette s’amenuisa de plus en plus jusqu’à se confondre avec l’horizon.
Cédric réprima un sanglot ainsi que l’élan qui le poussait à suivre son père quand tout à coup la porte de sa chambre s’ouvrit à toute volée ; le chien Toby déboulait sur son lit et lui léchait frénétiquement le visage et les mains. Et puis apparaissait la silhouette noire de Maman, qui se découpait dans l’embrasure, à contre jour.
« Debout, Cédric ! C’est la Fête des Papas.
Papy nous attend pour aller fleurir la tombe de ton père… »
« Papa n’est pas mort, » se répétait Cédric, tout
en jouant avec les oreilles de son chien, « Papa n’est pas mort, je l’ai vu cette nuit… »
Refusant l’évidence, il se répéta encore ces mots
comme pour exorciser cette réalité qui tout à coup lui faisait peur.
Un peu plus tard, au cimetière, tous trois contemplaient la photo un peu fanée du père trop tôt disparu : Maman avait l’air mélancolique ; Papy était pensif. Cédric, pour une fois, réfléchissait profondément. A les regarder de plus près, il comprenait soudain que, depuis des années, l’un et l’autre s’étaient efforcés de remplacer le chaînon manquant grâce à l’amour donné sans compter… Maman ne l’avait laissé manquer de rien ; Papy l’avait aimé comme un fils…
Alors le petit garçon se sentit grandir d’un seul coup… Il lui sembla que Bob Morane lui adressait de loin un clin d’œil qui signifiait :
« Fonce, n’aie pas peur !… »,
tandis que son père lui chuchotait tendrement à l’oreille :
« Va, mon fils, la vie t’appartient ! »
Les héros de papier rejoignirent, l’un, la collection de Marabout Junior de la bibliothèque, l’autre, le cadre trônant sur la cheminée du living.
Alors Cédric glissa sa petite main dans la main ridée de son grand-père. Avec un bon sourire, l’aïeul se pencha vers son petit-fils :
« Tout va bien, Cédric ? »
« Oui, Papy, très bien… Tu sais, Papy, j’ai décidé qu’à partir d’aujourd’hui, mon héros, ce serait toi ! »
Et devant l’air interloqué de son grand-père, il ajouta :
« Parfaitement ! Toi, au moins, tu n’es pas en papier… »
© Capucine