LE CITOYEN DOIT SE FAIRE VOYANT...
La nuit des loups, la suite.
Déchiffrer l’indicible promesse des vents, enfourcher les autans, monter à cru sur les pouliches de nos rêves.
Forcer le passage des diktats éculés, renier les verbes creux, réveiller les conjugaisons, déverrouiller la langue.
Etre le maton des moutons, jeter la clef des sages, ouvrir les portes du pénitencier de nos espoirs.
Filer à l’anglaise en emportant la caisse de nos souvenirs.
Se faire la malle malgré le mal de vivre, exister plutôt que vivre.
Jeter les pavés dans toutes les mares, se faire grain de sable dans l’engrenage des réels, faire rouiller l’inoxydable.
S’enfoncer dans les forêts dormantes, assommer les princes trop charmants et enlever les belles. Leur mordre la langue en les embrassant.
Jeter les robes couleur de ciel et enfermer les magiciens d’Oz. Inviter enfin Carabosse. Changer les chiffres, oser un nombre pair pour déjouer les bons sorts.
Délivrer les mauvais génies, ravauder les tapis volants et en finir avec ces histoires de sirènes : qu’on leur laisse leurs jambes, si possible en bas résille !
Dévaliser Robin des Bois, oser le coming out de Zorro et Bernardo, mettre de l’huile de colza dans le bolide de James bond : qu’ils ne se reposent pas trop sur leurs lauriers…
Pimenter les guimauves, saler les barbes à papa, mélanger les genres. Clara Morgane au JT, Marie Drucker aux Maternelles, Pernault en Texas Ranger.
Ecrire sur les murs de nos maisons, tagger les salons, rendre l’écriture obligatoire. Nommer un ministre des impossibles.
Arracher les pages du Lagarde et Michard, interdire aux enfants d’apprendre Maurice Carême. Baudelaire en petite section ou rien.
Envahir les stades. Rendre les happenings obligatoires. Créer des équipes de supporters de poètes et de peintres. Organiser des matchs de philo, des tournois de poètes.
L’imagination au pouvoir : avec chaque ballon de foot acheté, offrir un livre !
Aimer les vents, jeter les parapluies, déboutonner tous les corsages. Se faire suffragette des modes.
Ne plus jamais hésiter. Sauter dans le vide, pour oublier les abîmes du réel. Remplir les chariots d’orages et d’étincelles, pour ne plus sentir les moisissures tristes de nos vies.
Prendre le contre-pied, rouler à contresens, penser à contre-courant, se faire mascaret pour oublier les mascarades.
Changer la vie. Changer de vie. Ne plus croire Marx, déboulonner les statues de toutes les dictatures, mais élire Rimbaud président du monde.
Le citoyen doit se faire Voyant.
Douter de tout, sauf de soi-même. Saint-Thomas directeur de l’AFP, mais être son propre coach.
Aimer. Parler à ses voisins, surtout aux plus revêches. Offrir des fleurs à tous les inconnus, faire rougir les convenances.
Aimer. Oser les confidences. Chaque journée sera comme une longue nuit dans un compartiment de train. Partager les victuailles des mémoires, et boire la vie au goulot. Sur les serviettes à carreaux étaler les partages de la rencontre.
Aimer. Lever les yeux et la tête. Aimer se faire siffler par les ouvriers des chantiers et bousculer les idées reçues. Ecrire « je t’aime » sur les trottoirs et faire de chaque texto une petite annonce de Libé.
T’aimer.
Jouer à : « On dirait qu’on serait…. »
Fermer les yeux, juste le temps d’y croire…
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"Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue:
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler:
Je sentis tout mon corps et transir et brûler."
Racine, "Phèdre"...