Voilà , ça y est, je suis morte. C’est le printemps, et je voulais mourir au printemps. Une idée saugrenue ? Que non ! Il n’y a qu’au printemps que l’on trouve du lilas mauve, petit arbre de mon enfance. Chacune des personnes qui se présentera pour l’adieu, m’apportera sa petite branche fleurie. C’est mon seul et dernier souhait.
Comment je suis morte ? C’est étrange, il y a quelques mois à peine, quatre mois je crois, j’ai fait un rêve. Une petite fille rousse me priait de la suivre. Au réveil, je ne me sentais pas très bien. Des nausées, des douleurs partout, une grande fatigue. Au bout de trois semaines, je me suis décidé à consulter un médecin, qui m’a envoyée directement chez un spécialiste : un cancérologue. Rien. Il ne trouvait rien ! Pourtant je sentais qu’il ne me restait que très peu à vivre. Comme toujours, les circonstances difficiles me rendent forte, je veux dire moralement, car physiquement, je tenais à peine debout. J’ai procédé par ordre. J’ai d’abord réuni ma famille, mari, enfants, beaux-enfants et petits enfants, pour annoncer cette mauvaise nouvelle. Ils ne m’ont pas cru bien sûr, ils pensaient à une fantaisie de ma part, mais qu’importe !
J’ai ensuite distribué à chacun bijoux, collections, photos, ainsi pas de dispute après mon départ ! J’ai mis de l’ordre dans mes papiers. Très important ça ! J’ai aussi rendu visite à mes vieux parents, seulement les jours de bonne forme, pour ne pas les alarmer. Ils avaient bien le temps de souffrir… non, je ne leur dirai rien. Maman m’a trouvée amaigrie, mais je lui ai rétorqué chaque fois « je suis au régime. »
Au fil des semaines, mes enfants ont déserté la maison, par hantise de me voir dépérir, ils ont renoncé aux visites. Je ne leur en veux pas. Je les comprends même. Comment savoir mes propres réactions face à une telle déchirure ? Non, je ne dois pas les juger. Mon mari est parti un matin et n’est jamais revenu. Lui non plus, je ne le jugerai pas.
C’est donc seule que je suis morte, un jeudi matin. Ce jour-là j’ai réussi à me lever pour ouvrir les volets et la fenêtre. Un doux soleil régnait sur les arbres alentour et les oiseaux pépiaient à qui mieux-mieux, de délicates senteurs ont envahi ma chambre. Et puis la petite rouquine est revenue, elle m’a tendu la main, et je l’ai suivie. Et comme je me suis sentie bien ! Légère ! Heureuse enfin ! Plus rien n’a vraiment d’importance et je me suis rendue compte comme les petits tracas de la vie, les jalousies, les disputes appesantissaient notre existence jusqu’à la rendre infernale. Comme tout est beau quand on regarde par l’autre côté ! On peut voir les cœurs et l’aura de chacun, et personne, non personne n’est vraiment méchant, ce sont les désillusions, les déceptions qui étouffent le meilleur en soi.
Mon médecin de famille me rendait visite tous les jeudis après-midi, avant la reprise de ses consultations, et c’est lui qui a découvert ma dépouille. Scanners, IRM et analyses diverses n’avaient servi à rien pour trouver les causes de mes souffrances, aussi le parquet a ordonné une autopsie. Mais rien n’a été décelé. Je suis morte à cinquante ans de cause naturelle. Aucune usure de vieillesse. Aucun empoisonnement. Aucune maladie connue ou inconnue. Tout est parfaitement normal et mon cœur, mes poumons, mon foie, tout est sain ! D’ailleurs, ils ont permis de sauver une jeune fille de dix-sept ans, atteinte de mucoviscidose, et un jeune homme de 29 ans, accidenté. Quelle joie pour moi ! Car à présent, j’ai la possibilité de voir l’avenir et j’ai vu que ces deux là auront un grand rôle à jouer dans notre société.
Puis ils ont osé fouiller dans ma vie, ils ont appelé ça une enquête. Tu parles ! Que des fouineurs avides de connaître des petits détails croustillants. A vrai dire, je m’en fiche, car tout ce que j’ai pu faire dans ma vie, je l’ai fait par amour. Qu’ils se régalent donc !
Puis ma famille a enfin été autorisée à me mettre en terre. Et c’est aujourd’hui. Ca me désole de voir le chagrin de mes enfants, leurs remords d’avoir été si absents, j’aimerais pouvoir leur dire que c’est ce que je voulais, mais comment faire ? La petite fille rousse qui ne m’a pas lâché la main, se met à rire, un joli rire cristallin, enfantin, et je me mets à rire aussi. Alors ma fille ainée commence à raconter ses souvenirs d’enfance, les chansons et les jeux, mes autres enfants la suivent sur ce terrain, et la peine, pour un moment, leur semble plus douce. Mon mari les écoute, mais il reste muet. Je sais bien ce qu’il pense, je l’entends, c’est trop tard ! Alors je lui murmure à l’oreille ma joie d’avoir eu des enfants et de pouvoir être toujours avec eux, et combien ces moments-là m’ont comblée. Une larme coule sur sa joue et un triste sourire se dessine sur son visage.
A chacun j’envoie une pensée d’amour qui pénètre leur cœur, ils se regardent, étonnés, et je sais qu’ils savent…
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