Une forêt de mâts de bois rouges et d’acier
Se dresse dans le ciel comme une petite armée.
Harcelant les amarres de sa poigne puissante
La mer saisie les coques dedans sa main de menthe.
Des cordages sans fins s’envolent dans les hunes
Emportant avec eux des rĂŞves de fortunes
Et s’écrasent sur le pont en flaques de soleil ;
Transformant : cuivre en or et le bronze en vermeil.
Les haubans marquent le ciel d’une marelle d’azur.
Les vergues retiennent Ă peine les plis de la voilure,
Comme une tête chenue grisée par l’aventure
Laisserai flotter au vent sa blanche chevelure.
On imagine encore dans la foule qui se presse
Les attentes sur les quais, les rires et les détresses
Quand ces ventres de bois revenaient enfanter
La ruine de ce roi ou richesse d’un drapier.
On pense aux déchirures et on pense aux tempêtes,
Au port qu’on n’atteint pas, aux voyages qui s’arrêtent.
Ou aux milliers de larmes poussées par les étraves
Les guerres, le feu, la poudre, la honte et les esclaves.
On se redit en douce nos lectures d’enfance
Jim Hawkins et Jules Verne, les nouvelles connaissances.
Les pavillons gonflés d’autres philosophies
Le monde s’ouvre par la mer à une grande fratrie.
On voit les lourdes malles, les tonneaux les ballots,
Les Ă©changes des hommes sous de divers drapeaux
Les Ă©pices, les huiles et les essences rares,
Les idées, les amours et les nouveaux espoirs.
Elle se dresse face à nous l’incroyable armada
Les boudins de lin blanc en travers des mâts.
Les équipages prennent corps avec ses géants
Dans les cales vibrantes des rages de l’océan.
La figure de proue couchée sous le beaupré
Nous livre les couleurs des conquêtes passées
Mais le regard et le doigt qu’elle pointe vers la mer
Donnent la direction d’où viennent nos chimères.
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“C'est à partir de toi que j'ai dit oui au monde - Paul Eluard”