Plume de satin Inscrit le: 13/8/2009 De: Envois: 24 |
L'art de vivre Je les vois d’ici, commenter, faire croire à tout le monde qu’ils ont compris mon mode opératoire, s’attardant sur les traumatismes forcément subis durant mon enfance, établissant un bilan psychologique, se rassurant en expliquant que je suis malade, dégénéré, ou fou… Après tout, quelle différence ? Seulement voilà , ils se trompent. Pour commencer, j’ai eu une enfance des plus normales, choyé par mes parents, comme tout fils unique, dans un foyer harmonieux, j’avais plein d’amis, une chambre remplie de jouets et un chien que j’adorais à qui je confiais mes secrets. Malheureusement pour les experts, je ne souffre d’aucune maladie, ni d’aucune dégénérescence de quelque forme que ce soit. Je suis en parfaite santé physique et mentale. Mais il persistera toujours un doute dans l’esprit de mes détracteurs, ils ont besoin de croire que quelque chose ne va pas chez moi. Sinon, comment expliqueraient-ils les actes que j’ai commis… Comment pourraient-ils encore se sentir en sécurité quelque part ?
Ils me font rire ces amateurs. Et quand je parle d’amateurs, je veux bien entendu aussi parler de ces pseudos tueurs en série, ces assassins de pacotille, qui se prennent pour des pros alors qu’ils sont identifiés, arrêtés et emprisonnés avant de pouvoir réitérer leur geste. Qu’est-ce qui cloche chez eux me demanderez-vous ? La réponse est très simple. Ils se font pincer parce qu’ils ont un mobile. Même le plus grand des meurtriers à besoin d’une raison pour tuer quelqu’un. A par quelques mecs bourrés facilement neutralisés, aucun ne choisit ses victimes au hasard. Aucun, sauf moi. Pas de mobile, pas de suspect. Comment la police pourrait-elle remonter jusqu’à moi ? C’est impossible. Aucune de mes victimes n’a de lien avec une autre, je ne sais d’ailleurs absolument rien d’elles. Ont-elle une famille, des amis, un labrador ? Je m’en moque éperdument. Je tue des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, des latinos, des asiatiques, des riches, des pauvres… Tout ce qui me tombe sous la main. Pourquoi je le fais alors que je n’ai aucune raison ? Parce que je sais le faire, tout simplement. J’assassine au marteau, au fusil de chasse, au couteau de cuisine. J’écrase avec ma voiture, je crève des yeux avec des tournevis. Jamais de la même manière, jamais à la même heure, jamais au même endroit. Je brûle les corps, je les enterre, je les jette à l’eau, je les découpe, je les laisse sur place… C’est tout un art.
Je ne vis pas reclus, j’ai trouvé ma place dans la société, j’ai un travail, des amis. Je ne suis pas jaloux, je n’envie personne. Chacun à la vie qu’il mérite, je suis satisfait de la mienne. Je ne suis pas mégalomane, je n’en veux à personne, et je n’ai pas honte de ma passion. Bien sûr, je ne peux pas en parler autour de moi, les gens prendraient peur, ils ne me comprendraient pas. Même pas ma mère. Dommage. Mais après tout, qu’est-ce que je fais de mal ? Tous les matins aux informations, on entend que des dizaines de personnes sont mortes dans des accidents de train, d’avion, dans des séismes, des tornades. Pourquoi on fait tout un plat d’un petit meurtre de temps en temps… Est-ce que le fait de tuer une personne, insignifiante à l’échelle planétaire est plus impardonnable que de ne pas réussir à maîtriser son avion et ainsi causer des dizaines de morts ? Je ne crois pas. Surtout qu’il n’y a rien de créatif dans le fait d’écraser un avion. C’est du déjà vu. Moi, je suis un artiste. Les personnes qui découvrent mes victimes doivent être subjuguées par la beauté de la mise en scène, par l’esthétisme de la découpe.
Mes propos vous choquent, mais réfléchissez une minute. Qu’est-ce qui vous dérange le plus ? Que je tue des gens, ou que n’importe qui me confierait ses enfants à garder ? Ce qui vous dérange, c’est que je sois quelqu’un de normal, sociable, bien intégré. Vous ne pourriez pas supporter l’idée que vous me croisez peut-être tous les jours, que vous me saluez, que vous m’appréciez. Vous avez besoin que je sois un monstre. Vous voulez que j’obéisse aux standards du psychopathe de base. Ainsi, vous pourriez cocher les bonnes cases dans votre grille pré-remplie. Si vous aviez connaissance de mes loisirs ça vous répugnerait de penser que quand vous ne saviez rien vous me trouviez sympathique, gentil et prévenant. Les plus grands de ce monde sont souvent incompris, critiqués. Beaucoup ne sont reconnus comme de véritables artistes que post mortem. Un jour peut-être, nous aurons l’occasion de nous croiser dans d’autres circonstances, et je ferai de vous des chefs d’œuvres.
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