Une fille...
Hier, j'ai rencontré une fille.
C'était au cimetière. J'assistais malgré moi à l'enterrement de la femme d'un collègue. Un accident de voiture. Lui était en fauteuil pour le restant de ses jours, et leur fille était encore à l'hôpital.
Un type que je connaissais pas, il bosse aux rotatives, moi j'écris les papiers. Mais tout le journal était là , normal.
Enfin...qui bossait. Maintenant, avec son fauteuil, il va falloir qu'il se recycle.
Bref.
J'ai rencontré une fille, donc. Elle n'était pas à l'enterrement, elle était venue voir une tombe. Mes yeux ne l'ont pas quittée une seule seconde. Si je savais dessiner, je pourrais en faire un portrait plus fidèle que De Vinci de sa joconde. Une silhouette à la fois élancée et un peu tassée. Petite, peut-être un mètre soixante-cinq. Bien en chair, mais pas grosse. De longs cheveux noirs, brillants, un peu ondulés. Habillée classe, mais pas bourgeoise. Entre vingt et vingt-cinq ans.
Elle a parlé à la tombe, mais j'ai pas pu entendre sa voix, à cause de ce con de curé.
Si belle...
De toutes façons, je vois pas comment je vais pouvoir la revoir maintenant. Je vais pas camper dans le cimetière. J'ai le nom de la personne sur la tombe, mais ça ne signifie rien, ça peut aussi bien être un parent qu'un ami. Martine Volin.
Oui, ça ne signifie rien.
Alors pourquoi j'ai ouvert le bottin ?
Pourquoi j'ai décroché mon téléphone ?
Pourquoi j'ai déjà dit trois fois “excusez-moi, je me suis trompé de numéro” ?
C'est le dernier. Martine Volin...c'était peut-être sa mère. Elle est morte à quarante-huit ans.
Je regarde longuementle numéro. Et le prénom. Tamara. C'est joli, Tamara. C'est rare, aussi. Avait-elle une tête à s'appeler Tamara ? Quand on connait une personne, on trouve que son prénom lui va bien. Qu'elle a une tête à s'appeler comme ça.
Tamara. Tamara. Tamara. Tamara. Merde. Je vais être en retard au journal.
Des embouteillages. Il fait chaud en plus. On n'est qu'en mai, mais le soleil tape dur. Et la capote est bloquée, bien entendu. Peut-être que je devrais changer de voiture, d'ailleurs. Ca fait des mois que je me dis ça. Mais j'y suis attaché, à cette vieille deux chevaux. C'est le genre de voiture dont on ne se sépare pas.
Tamara.
J'arrête pas de penser à elle. C'est énervant, à force. Et je viens de rater la sortie. Je vais devoir me re-farcir tout le périphérique. On dirait que ça commence à se déboucher. J'ai voulu pousser Titine dans l'espoir de remonter le temps, et j'ai pas pensé au radar. Se faire flasher avec une deuche...ridicule.
Tamara.
En sortant du journal tout à l'heure, j'emmène la voiture au garage. Vu la façon dont je viens de freiner pour pas à nouveau louper la bretelle, c'est plus prudent.
Tamara.
Merde. Raté mon créneau. C'est de pire en pire. Le rédac' chef va me virer, cette fois c'est sûr. Quoique. Après l'enterrement, il fera peut-être une trêve. Il va me faire une fleur. Il me doit bien ça, après tout j'ai eu le Pullitzer le mois dernier. Ca fait toujours bien, pour un journal.
-Ah, Verdon, vous voilà . Vous vous souvenez ce meurtre y a cinq ans ? Une femme de quarante-huit ans, poignardée une vingtaine de fois chez elle.
Tu parles, si je m'en souviens. Un grouillot d'un torchon concurrent m'avait soufflé le Pullitzer sous le pif avec cette histoire.
-Le coupable vient de se rendre. C'est une jeune femme d'une vingtaine d'années. File au commissariat.
Ca aurait dû me mettre la puce à l'oreille pourtant. Les âges, les années...
Tamara.
Quand je suis entré dans le commissariat, une voiture s'est arrêtée sur le parking.
Comment avais-je pu oublier ce nom ? Martine Volin.
Tamara.
Le moteur s'est tu, et la portière s'est ouverte. Le type de l'accueil me parlait, mais je n'entendais pas.
Tamara.
Une jeune femme est entrée, une paire de menottes aux poignets et un flic à chaque bras. La voix de l'un d'eux s'est confondue avec la mienne.
-Tamara Volin.
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"Les mots peuvent être plus durs que la pierre et plus tranchants que la plus aiguisée des lames. Mais ils peuvent être aussi doux que la caresse du vent sur ta joue, ou que le sourire de la personne que tu aimes. "
Mobius Sakurano.