Plume d'or   Inscrit le: 16/9/2021 De: Envois: 862 |
Pépé Ce jour-là , je rendais visite à mon grand-père maternel. J'aimais lui tenir compagnie même s'il n'était pas très causant depuis le rappel à Dieu de grand-mère deux ans plus tôt, et celui de mes parents six mois avant survenus dans un tragique accident de la circulation. Il vivait à l'abri des regards indiscrets, avec pour unique compagnie, ses trois poules, un coq et Fidel, son chien, dont le prénom lui allait comme un gant. Sa maison ne payait pas de mine :
Une petite échoppe restée dans son jus, qu'il n'avait plus le courage d'entretenir. Le potager, tout comme la bicoque, n'avait rien d'attrayant et c'était toujours le parcours du combattant pour rafraîchir cette "jungle" et passer la tondeuse, en été surtout : J'enfilais toujours des bottes, de peur de croiser une vipère ou autre bestiole répugnante. Ma venue était donc une bonne occasion d'assainir son logis, pour son confort, et le mien tant il me faisait honte. Mais comment lui reprocher son laisser aller ? C'est vrai qu'il n'était plus tout jeune et sa détresse me chagrinait.
Les travaux ménagers et d'extérieur achevés, j'avais pour habitude de lui cuisiner son mets préféré: Une omelette aux cèpes. L'avantage, c'est que, grâce aux poules, pépé avait toujours des oeufs frais à disposition. Quand à sa cave, outre des bouteilles de vin bon marché, je n'avais aucune peine à trouver une conserve de cèpes. Mémé, de son vivant, cuisinait beaucoup et faisait toujours des bocaux de légumes (de ce qui fut le potager), de plats divers et variés, de compotes, de confitures et, en automne, de cèpes. Il y en avait tellement qu'il me fallait enjamber les bocaux à même le sol tant les étagères étaient pleines à craquer. Elle avait peur de manquer, mémé, et disait toujours :
"Il faut faire des réserves pour avoir de quoi manger en cas de guerre."
Au moins, c'est certain, il avait de quoi tenir quelques années . Seule la vinasse diminuait dangereusement...
Le déjeuner terminé, nous avions pour habitude d'aller à pieds au village, situé à deux kilomètres de chez lui: Passage chez la fleuriste, à l'église pour prier et allumer un cierge, puis au cimetière, sur la tombe de mamie. Je le laissais toujours quelques minutes seul, avec elle. Mémé, de son vivant, était très pieuse, contrairement à pépé qu'elle aurait presque traîné par le fond de culottes pour aller à la messe. Mais, une fois son "calvaire" passé, il rejoignait ses camarades au bistrot du village et partageait avec eux un ou deux canons. C'était son petit plaisir dominical . Ce qui m'a toujours surpris, et ce depuis ma plus tendre enfance, c'est de ne jamais le voir pleurer, quelles que soient les circonstances, même, hélas, les plus tragiques que nous avons connu. Il rabâchait sans cesse qu'un homme doit rester digne, tête haute et ne jamais pleurer. Il comparait les "pleureurs" à des "mauviettes"... Je devais en être une...
De retour du village, je suivis pépé dans la grange, délabrée elle aussi et dont la grande porte en bois ne fermait plus.
Mais à l'intérieur, tout était balayé, rangé, propre même, si je compare avec l'intérieur de sa maison. A croire qu'il vivait et dormait dans sa grange! Il faut dire qu'il a toujours aimé bricoler et avoir ses outils à portée de main. J'aurais aimé qu'il en soit de même pour le jardinage, mais non; c'était l'affaire de mémé qui ne jurait que par ses fleurs et son potager.
Il avait décidé d'aiguiser toute sa panoplie de couteaux et de fendre du bois en prévision de l'hiver. À dix-sept heures, en ce mois d'août caniculaire, je lui conseillais de s'occuper de son bois à la fraîche pour qu'il ne prenne pas un coup de chaud. Mais, têtu comme une mule, il a refusé prétextant qu'il ne craignait pas la chaleur. Dans ce cas, mieux vaut ne pas insister, et lui proposer un coup de main fut une bonne alternative. Je n'étais guère emballé mais bon.
En ouvrant la porte de la grange, une "surprise" inattendue retourna quelque-peu la situation :
Nous découvrîmes au fond de la grange, confortablement couchés sur le foin, un jeune couple d'amoureux visiblement endormis et tendrement enlacés. Ils devaient être exténués pour ne pas s'éveiller. Si cette situation peu banale me fit sourire, pépé, lui, resta figé, sans dire un mot. La vue de ce couple semblait le perturber, comme si cela éveillait en lui quelques souvenirs de jeunesse. Je le pris par la main, et, dans le plus grand silence, nous refermâmes la porte. Pour la première fois de mon existence, je vis pépé marcher dos courbé et tête baissée.
Ce jour là sur sa joue une larme a coulé...
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