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Expéditeur Conversation
Johanne
Envoyé le :  2/5/2007 20:49
Plume d'or
Inscrit le: 18/4/2006
De: Limoges
Envois: 1058
Discussions en Ă©quilibre...
-Vous savez que vous me faites peur ?
L’homme fronça les sourcils.
-Ah oui ? Vous craignez que je ne vous saute dessus à chaque fois que l’on se croise dans le couloir ?
Ce fut au tour de la jeune femme de froncer les sourcils.
-Ce que je voulais dire, c’est que j’ai un peu peur que vous ne tombiez…
-Et vous ?
-Oui, mais…
-Mais vous, vous n’avez pas la jambe gauche en compote, c’est ça ?
-Ne vous vexez pas…
-Je ne me vexe pas.
Un silence suivit. Quatre étages en contrebas, un groupe de jeunes passait, en route vers le bar d’en face.
Florie jeta un coup d’œil sur son voisin. Malgré ce qu’il disait, elle voyait bien qu’il avait été blessé par ce qu’elle lui avait dit. Ses yeux bleus-gris d’acier semblaient plus froids que jamais, et il pianotait pensivement sur sa canne.
Le pire, c’est qu’il savait qu’elle avait raison. Mais voilà, il ne craignait plus rien. A son âge, c’était surtout les apparences dont Emmanuel avait peur. Et les apparences prenaient un malin plaisir à jouer contre lui.
Tous deux se retrouvaient lĂ , un samedi soir de juin, assis en Ă©quilibristes sur leurs fenĂŞtres respectives. Une habitude pour Florie, moins pour son voisin.
-Je suis désolée.
-Et pourquoi ?
-Pour vous avoir dit…vous avoir fait remarquer que…ce n’était pas délicat de ma part.
-C’était direct. Votre franchise vous honore.
Ce qui d’habitude sonnait comme un compliment résonnait comme le pire des sarcasmes dans sa bouche. Florie marmonna quelque chose, et se plongea dans l’étude de l’immeuble d’en face. Emmanuel prit une cigarette. Au bout de trois bouffées, il poussa un soupir et leva les yeux au ciel.
-Vous fumez ?
-Mon père est mort d’un cancer du poumon.
-Ce qui ne répond pas à ma question.
Elle se remit à contempler l’immeuble d’en face.
-Vous fumez, et vous avez honte.
Aucune réponse.
-Non, mais c’est pas du jeu ! Si vous ne répondez pas, vous allez me vexer. Engueulez-moi !
-Là, c’est vous qui manquez de délicatesse.
-C’est une petite engueulade, ça.
-Vous savez que vous êtes pénible ?
-Et bien voilĂ  ! Maintenant, Ă©vitez de rougir comme une pivoine, et tout ira bien.
Florie en rougit encore plus. Cet homme qu’elle connaissait à peine l’intriguait et l’intimidait à la fois. Pour éviter toute nouvelle confrontation, elle s’engagea sur le terrain des banalités.
-J’adore les nuits d’été…Quand la ville est presque calme, que tout le monde dort…Les lumières s’éteignant peu à peu.
-Des banalités poétiques…C’est original.
-On fait ce qu’on peut. Vous pensez quoi, vous, de la nuit ?
Il poussa un soupir et leva les yeux au ciel. Un tic, nota Florie.
-C’est la nuit. Il fait tout noir, beaucoup de personnes sont en phase de sommeil profond et rêvent qu’ils couchent avec leur maîtresse ; rêves tellement intenses qu’ils en bavent sur leur oreiller et que les draps s’en souviennent. Les insomniaques se réconfortent en se disant qu’ils vont devenir incollables en chasse et en pêche, les artistes en profitent pour faire des œuvres qui ne veulent rien dire. Quelques jeunes oublient que l’alcool et la voiture, ça ne fait pas bon ménage, et des parents se payent une petite visite à la morgue du coin.
« Pas besoin d’être fin psychologue pour voir qu’il se fout de moi » se dit Florie. Mais en même temps, ce côté sarcastique l’attirait terriblement.
-C’est une bonne description, dit-elle en essayant de cacher son trouble.
-Vous connaissez ça.
Il se redressa brusquement et la fixa.
-Parmi ce que j’ai dit, vous avez vécu quelque chose. Les draps qui s’en souviennent, j’en doute. La chasse et la pêche aussi. Artiste ? Ca ne vous aurait pas troublée comme ça. Des amis qui ont oublié le sacro-saint dicton sur la picole et les bolides? Peut-être. Et puis après tout, cela ne me regarde pas.
-Vous brûlez d’envie de le savoir.
-Moi ?
Il prit un air faussement outré.
-Je suis muet comme une tombe.
-Oubliez ça. Je ne vous connais pas, et vous voudriez que je vous dévoile ma vie. Je suis désolée.
Elle disparut, puis Emmanuel entendit le bruit de la fenêtre que l’on fermait. Un sarcasme de trop. Il y avait toujours un sarcasme de trop. Il poussa un soupir, mais cette fois baissa les yeux sur sa jambe. C’était à s’en jeter dans le vide. Il ouvrit un flacon de médicaments, et goba trois cachets. La posologie disait deux. La posologie mentait, comme tous les médecins.

Le lendemain soir, Emmanuel entendit la fenêtre de sa voisine s’ouvrir. Florie avait décidé, en dépit de ce qui s’était passé la veille, de prendre l’air.
-Et puis merde. C’est pas lui qui va m’empêcher de faire ce que je fais depuis longtemps, marmonna-t-elle.
-Vous avez raison. Ne faites pas attention Ă  moi.
Par la même gymnastique que la veille, il grimpa sur sa fenêtre et s’installa, calé dans la longueur, tourné vers Florie. Il sortit de sa poche une cigarette qu’il alluma, et se plongea dans la lecture d’un livre.
Florie, voyant cela, sortit un carnet, et commença à griffonner quelque chose.
Ils restèrent comme ça des heures, sans se voir, comme deux gargouilles accrochées au mur. Puis, alors que onze heures sonnaient au clocher de St-Antoine, Emmanuel leva les yeux de son livre.
-Hier soir, vous aviez raison. Une jambe nous sépare, et c’est ça qui fait toute la différence à une vingtaine de mètres de hauteur…
Florie leva les yeux de son carnet.
-Je ne pense pas. Vous avez un handicap, mais c’est pas pour ça que vous êtes en sucre.
-Vous Ă©prouvez quoi pour moi ?
Florie resta muette pendant de longues minutes, les yeux dans le vague.
-Vous éprouvez de la pitié, ça se voit.
-Mais non, pas du…
-Vous avez réfléchi longtemps. Dans votre tête, vous vous êtes dit « Il faut que je lui dise quelque chose qui lui fera plaisir », et rien que ça c’est déjà de la pitié.
-Vous m’emmerdez à la fin !
Mais contrairement à la veille, Florie ne partit pas. Elle le regarda dans les yeux, à un tel point que ce fut lui qui détourna le regard.
-Pourquoi vous êtes aussi méchant ?
-Je ne suis pas méchant.
-Vous ĂŞtes sarcastique.
-C’est possible…en même temps, je saute, si vous voulez…Je tomberai sur la bonne jambe, avec de la chance.
-Vous recommencez.
Il fit une grimace, pensif, et plongea la main dans sa poche.
-Vous allez sortir une clope, tirer deux ou trois bouffées, et soupirer en regardant le ciel. Puis vous allez faire travailler votre sens aigu du cynisme.
Il leva un sourcil, puis sortit son flacon et avala deux cachets. Ca tiendrait pas longtemps, mais pour l’instant ça suffisait. Puis, avec sa mine sarcastique habituelle :
-Loupé. J’aime bien vous contredire, allez savoir pourquoi.
-Parce que je suis une proie facile. Des petites pilules ?
-Viagra. Vous connaissez ? Parce que là, j’ai une ouverture avec ma voisine, et comme je veux être à la hauteur…
Florie, qui avait pris le parti de le prendre à la légère, éclata de rire. L’autre laissa apparaître un léger sourire. Pas ce sourire narquois que tout l’étage lui connaissait, un vrai sourire. Qui disparut aussi vite qu’il était apparu.
-Vous avez un beau sourire.
-Bah, fit-il avec dégoût. Une déclaration d’amour bien mielleuse… Pas besoin de sentiments pour coucher, vous savez.
-De Viagra, par contre, si.
-Les seuls qui n’ont jamais de pannes sont des prétentieux.
-Et les seuls qui n’avouent jamais leurs sentiments sont des grands blessés de l’existence.
Il haussa les Ă©paules, et alluma la cigarette avec laquelle il jouait depuis quelques minutes.
-Vous fumez avec moi ?
Elle hésita, puis sortit un paquet de sa poche.
-J’ai eu de la chance. La prédiction n’est pas une science exacte. Vous auriez très bien pu ne pas fumer.
-C’est vrai.
-Mais vos ongles et votre teint ne mentent pas. Et vous avez un tic : vous posez votre main sur le rebord, comme ça…
Il joignit le geste Ă  la parole.
-…comme si vous teniez une cigarette.
Florie ouvrit de grands yeux.
-Vous ĂŞtes un adepte du jeu des sept erreurs, ma parole !
-Je cherche la vérité. Comment vous vous appelez, au fait ?
Un peu décontenancée par la soudaineté de la question, elle haussa les sourcils, avant de répondre.
-Beau prénom, Florie.
-Et vous ?
-Emmanuel. Mon père était kantien.
Elle éclata de rire. Lui, sourire en coin, jura qu’il disait la vérité.
-Florie, dit-il en reprenant soudainement son sérieux, qu’est-ce qu’il vous est arrivé cette nuit ?
-Cette nuit ?
-La nuit où vous avez décidé que la nuit serait toujours un calvaire.
Son visage s’assombrit. Elle sentait ses yeux pénétrants qui l’interrogeaient. Hors de question. Il l’avait fait rire pour qu’elle cède. Mais elle ne cèderait pas. Ca ne le regardait pas.
-Mon père n’est pas mort d’un cancer . Il s’est tué en voiture, avec mon frère, il y a sept ans. Ils sortaient d’une soirée arrosée, et il a perdu le contrôle. Voilà…
Elle regarda Emmanuel. Son visage ne reflétait aucune émotion particulière. Il était là, fixant le trottoir d’en face.
Ils restèrent un moment, à observer les mouvements du café en contrebas. Les disputes, les cris, les chansons plus ou moins convenables, les gens qui sortaient en titubant, ceux qui rentraient par petits groupes pour fêter quelque événement…Minuit allait sonner lorsque Florie prit son courage à deux mains, et lança :
-Maintenant, vous éprouvez de la pitié pour moi. J’en suis sûre.
-Comme ça, on est quittes.
-Vous êtes terrible. Comment vous avez su qu’il m’était arrivé quelque chose ?
-Parce que vous aimez et haïssez en même temps la nuit. Vous restez là, à regarder les heures qui s’écoulent, et les noctambules qui vivent. Vous les enviez et les plaignez à la fois.
-Ce n’est pas une observation fiable, ça.
-La science n’est pas toujours exacte, ni même fiable.
-C’est pas faux. C’est pour ça que je me suis orientée dans le droit. La seule science qui soit inexacte et injuste, et qui l’admet ouvertement.
-Vous ĂŞtes avocate ?
-Presque. Je finis mes Ă©tudes.
-Je peux vous confier un cas ? Histoire de vous tester.
-Allez-y.
Il se redressa, regarda sa montre, prit un cachet qu’il observa avant de l’avaler, et leva les yeux en l’air.
-C’est un médecin qui vient vous voir aujourd’hui. Il a été viré de l’hôpital où il travaillait, pour une raison injuste dit-il. Voici sa version des faits. Il travaillait dans cet établissement depuis treize ans quand il fut victime d’un mal étrange. En fait, ce mal était tout ce qu’il y a de plus simple, mais mal soigné par de brillants incapables, le médecin en fut quitte pour être boiteux toute sa vie, avec en plus des douleurs insupportables dans la jambe…
Florie, qui écoutait au départ d’une oreille distraite, se réveilla en sursaut. Elle écouta attentivement, voulant ne rien rater de cette « affaire »…
-Mais comme il aimait beaucoup son métier, il continua d’exercer, avec l’aide bien sûr de petites pilules miracles de codéine, qui est un anti-douleur dérivé de l’héroïne. Terriblement efficace, terriblement addictif aussi. Au fur et à mesure, il dut augmenter sa consommation, et on commença à se demander s’il n’était pas « addict ». Et il fallut se rendre à l’évidence : il était accro. Et comme ça faisait mauvais genre, on le vira pour faute grave, officiellement parce que son caractère de cochon cynique et sa propension à fuir le côté humain du métier l’empêchent d’exercer en hôpital. Problème, il a ce caractère depuis le départ. Officieusement, on s’est rendu compte qu’en plus d’une erreur digne de débutants qui avait conduit à diagnostiquer la maladie trop tard et à provoquer la boiterie, on lui avait donné des anti-douleurs qui ont plus d’inconvénients que de qualités, selon les autorités françaises. Et ça, ça fait vraiment mauvais genre, dixit le médecin.
Emmanuel prit une cigarette, la énième de la soirée, et continua son récit.
-Vous suivez bien, au moins ? Bien. Le docteur est donc sans emploi depuis des mois, et comme son métier est une véritable passion, il est vraiment malheureux. Pensez-vous, cher maître, qu’il puisse demander réparation ?
Florie réfléchit quelques minutes.
-Je pense que si l’anti-douleur n’était pas autorisé en France, il peut demander réparation. Sinon, il peut toujours essayer de prouver que son addiction n’altère en rien sa capacité à travailler correctement. Reconnaît-il son addiction, et pense-t-il qu’elle altère sa compétence ?
-Vous poussez l’exercice loin…On va dire qu’il reconnaît cette dépendance, et qu’il pense que ça n’altère pas ses compétences.
-Et s’il acceptait de se faire aider pour mieux soigner sa douleur, et se désintoxiquer, si l’on peut dire ça comme ça, afin que l’hôpital puisse le reprendre ?
Florie avait compris qu’ Emmanuel avait compris qu’elle avait compris que le cas n’était pas un simple test. Il la regarda dans les yeux. Ses pupilles d’acier avaient pris une teinte plus bleutée.
-Il veut bien se faire aider. Mais il pense que personne ne peut ressentir sa douleur. Il a déjà essayé de décrocher, mais n’y arrive pas. Et puis il ne veut pas être considéré comme un pauvre junkie. Il a sa dignité.
-Personne ne peut ressentir sa douleur. Mais des gens peuvent l’aider, s’il l’accepte. Et s’il fait des efforts pour avoir un meilleur rapport humain dans son métier. Voilà ce que je lui conseillerais, en tant qu’avocate…et amie.
Emmanuel la regarda avec un petit sourire.
-Vous ne devriez pas faire ami-ami avec des clients…mais je pense qu’il accepterait. Test réussi, Maître Florie.
-Cher docteur, je vous remercie.
Emmanuel sourit, et garda ce sourire pendant de longues minutes. -Arrêtez de sourire comme ça, vous allez tomber...
-Espèce d'andouille!
Et ils éclatèrent de rire, faisant lever la tête à un groupe de jeunes qui passait...


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La nostalgie colore les souvenirs avec des crayons de couleur...

anonyme
Envoyé le :  2/5/2007 23:12
Re: Discussions en Ă©quilibre...
ah lalalalala !
on doit être toutes les deux addicted aux mêmes trucs américains. ;)

ça mis à part, d'autant que c'est fort bien vu et qu'il faut vraiment connaître pour le sentir, c'est TRES bien écrit, le fil conducteur se déroule farpaitement, totalement cohérent, au point que je me suis demandé pendant la première moitié si ce n'était pas en partie du vécu.

un très bon moment de lecture, jeune demoiselle. maîtrise de la langue impec, du tout bon.

merci Johanne !
Johanne
Envoyé le :  3/5/2007 19:59
Plume d'or
Inscrit le: 18/4/2006
De: Limoges
Envois: 1058
Re: Discussions en Ă©quilibre...
Alalala...je suis percée à coeur! Honte sur moi pour avoir plagié cette fabuleuse série américaine...terriblement addictive! (House I love youuuu...mdrr)
Merci pour tes compliments et surtout pour ta fidelité!
Bisous!


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La nostalgie colore les souvenirs avec des crayons de couleur...

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