L’aube ne viendra pas...( dédié à Maurice Pilorge dernier guillotiné à Rennes)
Tu dors, tu dors encor, insouciant, sans peur
L’aube ne viendra pas, l’hiver crève son coeur,
Et sous le feutre lourd d’une nuit sans espoir
La lune tout là -haut a brisé son miroir.
Tu dors, tu dors encor, insouciant, sans peur
La bouche à demi close et le souffle rieur,
De tes bras repliés, cachant tes cheveux d’or,
Sans regret, sans remords, tu dors, tu dors encor!
Comment croire vraiment qu’on dresse l’échafaud?
Qu’au seuil de ton destin , à peine le sol chaud
La mort pointe déjà son couperet vermeil?
Tant de beauté, de grâce, enlace ton sommeil!
Dans l’heure qui s’avance et lentement t’éveille
La foule gronde, crie, et l’Ankou* tend l’oreille
Mais toi, jeune élégant, beau dandy gouailleur
Tu lisses nonchalant ta mèche accroche-coeur.
Toi, l’assassin, le fou, le truand radieux
Dont le charme séduit même le bleu des cieux,
Sous tes cils comment voir cette perversité
Quand ton oeil d’angelot répand tant de clarté?
Ô ce teint de pain frais, ce regard enjôleur
Ô ce rire insolent sur des lèvres en fleur!
Combien on voudrait voir s’effacer beau vaurien,
Ton passé crapuleux , mais l’on n’y peut plus rien!
L’angélus a sonné, dans la nuit qui s’éventre,
Y’a-t-il encor au ciel une place à revendre?
Les gardiens sont venus , le bourreau s’impatiente,
Tu bois du petit lait , savourant leur attente.
Tandis que sous ton col , on taille ta chemise,
Que les ciseaux du sort sur le pavé s’aiguisent,
Toi , le front voluté d'un halo diaphane,
Tu grilles nonchalant ta dernière gitane...
Sous le brouillard épais de l’hiver trente- neuf
Un brouillard blême , et plein, comme sorti d’un oeuf
On te vit à la «veuve» offrir ton cou léger
Et, sans frémissement, mourir sous son baiser.
L’aube ne viendra pas...
- Ton nom que tu marquas au fer d’un coupe-gorge
En tuant de tes mains l’amant de tes nuits brèves
Le poète** élégiaque , ô Maurice Pilorge
A l’encre de l’amour l’estampa de ses rêves! -
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*L'Ankou (en breton an Ankoù) personnification de la mort en Bretagne
**Jean Genet lui a dédié un superbe et long poème « le condamné à mort »
Magnifique extrait chanté par Etienne Daho "sur mon cou":je mets le lien , je n'ai pas réussi à intégrer la vidéo
https://www.youtube.com/watch?v=28FFqdzsh9s