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     L'Affiche
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Expéditeur Conversation
faustinyavo
Envoyé le :  6/2/2015 2:19
Plume d'argent
Inscrit le: 8/9/2014
De: Paris
Envois: 254
L'Affiche
La honte est un sentiment aussi vieux que le péché originel. À ce titre, Frédéric Béjek pensait qu'elle était passée de mode. Mais elle arriva jusqu'à lui à l'intérieur d'une enveloppe qui portait le cachet des postes portugaises.
Frédéric Béjek avait été un gars costaud, aux larges épaules, au cou épais et aux cheveux coupés en brosse. À l'époque, il avait une silhouette fortement charpentée et son visage, carré et sanguin, ses yeux limpides et transparents, avaient fait la une de la presse people. Son sourire affable et sa superbe réplique au caïd : « -Sachez que ni le crime ni le vol ne seront jamais au-dessus de l'amour, de la loi et de la foi ! » dans le film culte « meurtre en sourdine » lui avait valu de nombreuses nominations. En fait, Frédéric avait joué dans une centaine de films et de téléfilms. Il avait connu une vie rutilante faite de paillettes et de vivats.
Puis un soir, en avant-première d'une de ses représentations, il fit la rencontre d'une femme fatale : Nathalie Sarrat.
F. Béjek l'adora. Ils convolèrent en justes noces puis Nathalie partit -avec un steward -s'installer à Lisbonne. Frédéric en fut dérouté. Il se mit à fumer et à boire. À rouspéter pour un oui ou pour un non. À casser les pieds à tout le monde. Les hivers et les étés passant, il devint cassant. Irascible. Insupportable. Ses proches, qui l'idolâtraient presque, le prirent en grippe puis finirent par l'abandonner. Les nanas le trouvèrent violent. F. Béjek ne fit plus le haut des affiches. Ni même le bas. Excédés par ses esclandres, ses agents le virèrent proprement. Les directeurs de théâtre lui tournèrent le dos et les réalisateurs firent dire qu'ils n'étaient pas là. Dans le métier, il était grillé. Nathalie Sarrat l'avait toasté. Il finit par mettre en vente le pavillon qu'il possédait à Neuilly-sur-Seine et se retrouva dans un hôtel du Sentier. li pensait qu'il avait touché le fond, qu'il ne pouvait pas descendre plus bas. Mais c'était mal connaître mère boisson, car la logeuse le vida à force de loyers impayés.


C'est ainsi qu'il atterrit sous un pont aux murs tagués, affublé d'un sac en plastique qui lui couvrait le haut de la tête. Quelquefois, il lui arrivait de laisser courir son regard sur les rails rouillés, mangés par la mauvaise herbe. C'étaient de rares moments pendant lesquels il se sentait un brin nostalgique. Il se laissa pousser la barbe et les cheveux. Il prit de moins en moins de douches. Son visage devint osseux et anguleux. Longiligne. Ses veines saillaient comme des tubercules. Ses doigts ressemblaient à des serres.
À l'antenne d'Emmaüs, une stagiaire, toute mièvre, lui avait proposé un téléviseur et un réfrigérateur. Béjek avait décliné l'offre. Il lui aurait fallu tirer le jus depuis l'hôtel de ville, ce qui aurait rendu le maire furibard. Par contre, il avait accepté un poste de radio qui fonctionnait mal. Une riveraine lui avait offert un matelas, des couvertures et lui portait du pain, du café et du sucre. Ils conversaient lorsque Frédéric en éprouvait l'envie. L'acteur déchu recevait aussi la visite de quelqu'un qui disait vouloir le sortir de sa merde. Mais F. Béjek le soupçonnait de chercher un endroit discret pour fumer du shit, car il lui en réclamait sans cesse. Il avait une allure mafflue avec une tête imposante et des mâchoires massives. Ses mains étaient soignées, mais les ongles étaient rongés jusqu'au sang. Il s'appelait Markus Gonzales et travaillait à la ville de Paris. Il habitait un appartement vétuste, rue Manin.


Cette fin d'après-midi du mois d'août trouva F. Béjek en train d'écluser des 8°6. Les canettes de bière jonchaient le sol. Elles étaient éparpillées dans un fatras de vêtements et de boîtes de conserve.
ll se ramassa et se cala contre le mur. Il le fit comme s'il cherchait à fuir des fantômes. Puis il fouilla dans la poche de son pantalon crasseux et en sortit une cigarette ratatinée. Il l'alluma et tira plusieurs bouffées de fumée âcre. La cigarette brasilla dans l'ombre. Le bras qui la tenait roula le long de son corps. La tête, coiffée du sac en plastique, s'affala sur le côté. F.Béjek s'endormit dans des râles asthmatiques. La fatigue et l'alcool venaient d'avoir raison de lui.

Lorsque Marcus Gonzales s'amena, il le trouva affalé et avachi contre le mur de soutènement. Il lui donna des coups de pied et le secoua rudement. Mais il fallut du temps à Béjek pour sortir du monde pesant de l'alcool. La cigarette avait fini par se consumer. Le mégot gisait à quelques centimètres de sa main.

-J'ai trouvé de la dope. Ton info était exacte ! lui apprit Markus en ouvrant une paume molle dans laquelle apparaissait un amas de poudre blanche. Frédéric jeta un regard vitreux puis repoussa la main dans un signe de dénégation. Il tenta de se lever, mais n'en trouva pas la force.
Il plongea sa main dans sa veste et prit quelque chose qui ressem¬blait à un portefeuille. Ce n'était pas à parier, car les poches intérieures tenaient par miracle. Le plastique avait viré depuis longtemps au gris. On avait du mal à croire que cela avait été un portefeuille. Il en retira une photographie qu'il défroissa. Le papier sentait le rance. Ses doigts noueux coururent sur les contours d'un visage. C'était celui d'une jeune fille de dix-huit ans, aux traits ciselés. Un sourire creusait ses joues et ses yeux en amande brillaient comme des émeraudes. Son front était magnifiquement proportionné et ses cheveux fins, légers et noirs, couvraient ses frêles épaules.
-Une vraie beauté ! Complimenta Markus dans un regard libidineux et en renvoyant le rot de sa dernière bière.
-L'as-tu vue, Miki ? demanda Béjek en toussotant et en ramenant ses jambes comme s'il désirait se recroqueviller.
Le regard de son compagnon prit une teinte navrée.
-Non. Mais Lafayette assure qu'il l'a vue.
-Dis-m'en plus, Miki ! Exigea de savoir Frédéric en se raclant le fond de la gorge.
-Elle et sa mère sont descendues à l'hôtel de la Paix, Place de la République. Elles cherchent à se loger du côté de Haussman-Saint-Lazare. Mais c'est tout ce que je sais, l'Affiche ...

Occupés à la conversation, ils n'avaient pas remarqué le véhicule de la compagnie des taxis bleus qui venait de s'arrêter, ni la jeune fille qui en était descendue précipitamment. Ils ne l'avaient pas vue courir lorsqu'elle traversa le pont avec l'aisance de la jeunesse. Elle deman¬da son chemin à un vigile en bras de chemise et en épaulettes vertes. Puis elle partit comme un boulet. Elle cavala sur le versant abrupt de la voie ferrée et déboucha devant un tunnel béant et sombre. Elle courut encore le long des rails.
F Béjek finissait de ranger son portefeuille dans la poche de sa veste. Il s'était dit à lui-même, avec un air mélancolique :
-Si seulement Nathalie m'avait dit qu'elle était enceinte de moi, qu'elle l'avait découvert à Lisbonne et décidé de ne pas se faire avorter. J'aurais tordu le cou au Diable s'il avait fallu. Mais j'aurai gardé le haut des affiches ! Elle me l'annonce, maintenant. Dix-huit-ans plus tard et après une beuverie qui a duré tout aussi longtemps. Un brouhaha ébranla le poste de radio comme s'il était pris d'un fou rire. Puis l'appareil fit un silence complet. Frédéric lui jeta un regard chargé de vitriol.

- Un terrible coup du sort ! fit Markus Gonzales.
L'acteur déchu se leva, alluma une cigarette et se mit à fumer.
C'est à ce moment qu'elle les rejoignit. Ils ne s'aperçurent de sa présence que lorsque les essences de lavande et de myrrhe balayèrent les remugles pestilentiels des vêtements. Elle avait le souffle court.
-Ma mère attend près du taxi, dit-elle d'une voix fraîche et entre deux respirations. Je viens de Lisbonne. J'ai été assurée que Je trouverai l'affiche, ici. Je suis Claire Lopez, sa fille.
Elle était si proche qu'ils pouvaient sentir son haleine. Miki réprima un méchant rire. Le visage de Béjek prit une teinte de papier mâché puis tous ses muscles s'affaissèrent. La cigarette se décolla de ses lèvres puis tomba par terre. Il la ramassa, gêné. Tout en se redressant, il dit dans des borborygmes :
-Ce n'est pas possible.
Les yeux en amande le scrutaient. Claire savait que l'homme qui se rapetissait en face d'elle était son père. Elle l'avait reconnu. Quelque chose -d'indicible, mais de certain -le lui avait assuré et confirmé.
Mais l'Affiche s'obstinait à secouer mécaniquement sa tête. Ô honte quand arrêteras-tu de nous accabler par le poids de nos faiblesses ! Se morigénait-il.
-Très bien ! fit Claire devant le mutisme des deux hommes. Si vous apercevez mon père, remettez-lui ma carte et cet argent afin qu'il puisse m'appeler.
Markus s'empressa de ramasser la carte et les billets.
-Vous pouvez compter sur nous, mademoiselle ! répondit-il. Elle ne dit plus un mot et s'en retourna.
Béjek pensait qu'elle ne l'avait pas reconnu. Elle ne l'avait vu que sur des photographies du temps où le Tout-Paris envisageait de le faire figurer au musée Grévin. Mais c'était il y a belle lurette. Dix-huit ans et une sacrée cuite ! Alors tout pourrait aller à vau-l'eau ! Pourquoi s'en faire ? Pourquoi ne continuerait-il pas à vivre sous les oripeaux de cette misère sociale ?

Quelque chose le tança et lui fit lire mentalement le contenu de la lettre reçue poste restante. "C'est elle qui a voulu aller à ta rencontre, dès qu'elle a su. Elle ne tenait plus en place. Elle désirait connaître son véritable père."
Alors, il hésita. Puis il gonfla ses poumons et hurla le prénom de sa fille. Celle-ci était devant la bouche béante du tunnel lorsqu'elle s'entendit appeler avec netteté. Elle fit volte-face et vit le plus mince des deux hommes agiter les bras comme un pantin désarticulé. Il hélait son prénom en se désignant et en clamant qu'il était l'Affiche. Elle vit le sac en plastique, emporté par une formidable bourrasque, disparaître dans les branchages.
- Enfin ! souffla-t-elle, soulagée. La joie irradiait son visage. Elle revint sur ses pas. Là-bas, dans l'ombre du pont, le poste de radio émit un faible et dernier grésillement. Puis il s'éteignit.
Claire avait réussi à trouver son père. Mais pourra-t-elle surmonter les difficultés liées à sa nouvelle existence ? Frédéric Béjek regagnera-t-il son monde souterrain d'épaves et d'étoiles déchues ou acceptera-t-il de combattre au côté de sa fille ?
Ceci n'est pas un roman. N'en faisons pas un film !
eden33
Envoyé le :  19/3/2015 1:27
Plume de platine
Inscrit le: 6/3/2014
De:
Envois: 3059
Re: L'Affiche
oui...

Désolée, je venais vous lire...d'autres aussi se découragent...

Bien à vous

Eden



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Il y a des chevaux d'argent qui brillent de mille feux, lorsque s'éteint le jour, lorsque tout n'est plus bruit. Lorsque la folie anime le ciel plein d'étoiles...alors pour quelques instants, quelques instants seulement, rêvons...

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