Plume d'argent Inscrit le: 26/10/2014 De: Cintegabelle Envois: 358 |
Vive, vivre la rue Vive, vivre la rue.
Bon sang ce que j'ai eu du mal à trouver ce foutu carton. Vous n'imaginez pas comme c'est devenu difficile: trop petits, foutus. Foutue époque, foutue écologie qui veut réduire les emballages. Mais comment fait-on? Il reste les zones industrielles: trésors pour moi, pour vous rebuts.
Quelle chance, il est toute option: de grande taille, je pourrai m'y allonger D'origine suédoise! C'est toujours plus résistant que d'importation chinoise. Tamponné fragile: grande classe! Il sera bien épais, vous diriez douillet. Voilà ma couche, pour le moins antibourgeoise.
Ainsi meublé, je dois encore trouver ma place. Tout comme vous, j'aime le confort, la chaleur d'un foyer. Quoi de mieux qu'une porte cochère peu fréquentée, un bel espace. La ventilation de votre cave sera ma cheminée.
Idéalement situé près d'un coin de verdure qui, que ça reste entre nous, sera mon urinoir. Les années m'ont appris quelques astuces: j'ai mon intimité. Pas d'inquiétude, vous ne me verrez pas depuis le trottoir, Mes nuits au moins loin des voyeurs, j'espère, sont assurées.
Chaque jour je dois aller bosser, gagner ma vie, me nourrir. Je range, cache, mon précieux barda, je crains les rapaces. Les bons jours, dans vos poubelles: un petit-déjeûner. C'est rare je dois le dire. La faim est une amie fidèle...ou une garce
Ce n'est pas en restant dans mon coin que je ferai des affaires. Je me dirige donc vers vos quartiers proprets. Propreté, tant qu'on en parle! Mon carton n'a pas de vestiaire. Alors oui, je suis loin d'être coquet et parfois je sens mauvais.
De bonne heure je reste poli et peux encore sourire. Sait-on jamais, ça peut payer. "Bonjour messieurs dames" je tends la main. Je ne suis pas invisible, la preuve, je vous vois rougir. "Une petite pièce, je vous en prie, donnez moi du pain"
Mais le temps passe, je vous gêne, je le sens. Je voudrais disparaître tout entier dans cet l'asphalte qui a avalé ma fierté Chaque regard qui se détourne est un crachat violent. Connaissez-vous la honte de se sentir avarié?
Alors oui je picole, avec quelques pièces je m'achète de la vinasse J'engloutis vite une puis deux bouteilles, du vrai vinaigre! J'en vois déjà le fond mais cette piquette est efficace Car déjà s'envole la gène et, vautré, à l'aise, me voilà bien aigre.
Je crache sur vos souliers pour attirer l'attention. Je vous insulte: arme contre votre ignorance. "Eh connard! Tu m'a pris pour un morpion? Tu sais où je me la colle ton arrogance?"
Je vous hais tous bande de snobs Qui me préfèreraient voir sûrement mort. Ces grandes dames, foutues bigotes aux belles robes Sans vous oublier, fiers et costumés cadors.
Pas le choix et tant pis pour vous, je reviendrai demain, même rue Même gueule, même heure, même emplacement Ici ça paye assez bien car, depuis le temps, un peu connu Mais merde, comme je peux, je survis, je vivote tout doucement.
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