Plume d'argent Inscrit le: 26/10/2014 De: Cintegabelle Envois: 358 |
Pignon sur rue Pignon sur rue
Il est 17 heures j’ouvre boutique. Mon pas de porte : une forêt publique. Bord de route, aire sauvage, coin de nature… J’y charme vos époux, j’y cueille vos maris. Ils me payent bien, grâce à eux Tatiana survit.
Sac plastic sur la branche : Dans un buisson je soigne un client ! J’en sorts déjà : venez, il a vite fait son temps ! Professionnelle je connais mon métier ! Doigts de fée, reins offerts, 11 minutes : pas plus pour finir son affaire.
Bas résille, jupe courte : mon uniforme Hommes lubriques, voyez ces formes ! Sales, gros, avinés… toujours pervers. Tous les mêmes : de vrais cadors ! Virils ? Laissez-moi rire : des porcs !
Ils sont nombreux les frustrés, ces cochons : Queue de voitures, parfois des bouchons ! Sortie d’usine, de bureau, en bleu ou en cravate. Origines variées, mais tous pareils, Fin de journée leur bas ventre s’éveille.
Tel le clown : sourire figé, Maquillage : je cache mes yeux fatigués. Des caresses, tu parles ! Juste des mains fébriles ! Sûrs d’eux, fiers comme des paons. En fait grossiers ; pire encore : violents.
Une parenthèse dans son planning, Il fait une pause sur mon parking. N’ayez crainte, je ne le retiendrai pas : Juste une pute, pas une maîtresse Merci, mais votre type, je vous le laisse.
Je vous entends me juger Je vois, Madame, votre regard ulcéré. La société m’accuse, on me traite de salope. Vous aimeriez me bannir, ne plus me voir. C’est Monsieur que vous allez décevoir.
Fille facile dites-vous ! Une bonne à rien, voilà tout ! Ai-je eu le choix ? Si sous ce fard je suis cette créature, Creusez un peu, vous verrez mes blessures.
Cela ne se voit pas : j’ai 55 ans. Des études à payer, deux grands enfants Autrefois élégante et coquette, Mariée, épouse, mère au foyer Me voilà veuve, j’ai du improviser.
Un destin vole en éclat. Je suis seule. Ma famille sur les bras, pas le temps pour le deuil. Comme les vôtres, mes enfants ont faim ! Vous auriez fait mieux ? Ca reste à voir ! Quels regrets ? Je ne fais que mon devoir.
Passer l’éponge, pleurer sur mon sort ? J’ai du charme alors un effort ! La concurrence est rude, tant de travailleuses Marque de fabrique, pour réussir quelques astuces : Cacher mes rides, prendre l’accent russe.
A la nuit tombée, rideau ! Finies les affaires. Ma voiture : mon vestiaire. Chemisier, jeans, foulard de soie Quelques secondes devant le rétroviseur Tatiana disparaît. A demain, même heure !
Je gagne ma vie, je paye des impôts Pas entretenue, pas de maquereau. Je ne vous le souhaite pas, mais… Vous connaissez maintenant mon histoire. Nous partagerons peut-être un jour le même trottoir.
Je vis à l’hôtel, j’y suis discrète Un réceptionniste me sourit, je m’arrête Officiellement vendeuse, il n’est pas dupe. Il me regarde, me tend ma clef. Dans ses yeux, enfin un peu de respect
Un jour je prendrai ma retraite enfin. J’oublierai la moiteur de toutes ces mains Si je garde un souvenir : Ce jeune homme qui jamais ne condamne, Lui qui chaque soir m’appelle Madame.
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