NOCTURNE
Je t’aime au cœur de cette ville sombre
Et n’y connais que toi dans la foule sans nombre
Et je me plonge en ta présence l’absence de silence
Ici ou là assumant mes visions
Ton visage tes yeux sur l‘horizon
Ou courant sur mes lèvres ton nom
Lorsqu’aux façades pâlit l’éclair des néons
Que devant moi souvent s’allument
Les nuages bleus du petit matin
Et que se lève le vent soudain
Au courant de ma plume
Tel la caresse l’ivresse de tes mains
Je t’aime pour ce presque rien
Pour ce monde à l’envers
Pour ce miroir sans tain
Pour ces rues solitaires
Les arbres des boulevards
Où s’égare mon regard dans le noir
Que ce soit pour cette ombre incertaine
Qui enrobe les porches les arcades du soir
Ou pour la saveur fade de l’aube blême
Où je tressaille de même
Et revis dans l’espoir
Je t’aime pour ce trois fois rien
Quelque chose de toi ce moins que rien
Cet éphémère couple qui se tient par la main
Ce paumé ce camé ce clochard ou ce chien
Ce méchant coup de vent frappant les rues désertes
Ce désir qui m’assaille en moi sonne l’alerte
Je t’aime pour ces pavés ronds
Et les arches des ponts
Et pour ces silhouettes qui n’ont pas de nom
Les dalles grises des trottoirs
Où la pluie lisse esquisse ses miroirs
Où s’exhibe ton âme où tu perds la mémoire
Ces ruelles obscures où ton pas seul résonne
Ces heures ignorées où il te faut déchoir
C’est alors et ainsi que je t’aime
Et pourquoi … va savoir
Je ne connais que ces heures nocturnes
Où se révèle enfin le vrai visage de ta vie
Alors que noctambule amoureux de la nuit
Tu glisses doucement sur la pente sans bruit
Qui te détruit
Je t’aime pour ce monde vide et vain
Pour ce rien
Pour ce monde de cendres d’alcool et de poussière
Où celui qui écoute ne comprend rien
Et où celui qui boit tombe genoux à terre
Je t’aime pour la ville qui est ton paysage
Ces glaces et vitrines reflétant ton visage
Les impasses sordides où parfois tu descends
Ce néant et ce vide que souvent tu ressens
Quand éclatent tes liens et cèdent tes barrières
Quand tu es l’étranger et seul sur cette terre
Je t’aime pour ces moments de désespoir profond
Au plus bas que tu ailles pour atteindre le fond
Ta déprime est la mienne et la nuit les unit
C’est ainsi que je t’aime
Du soir tombant à ce jour qui se lève
Et seul ce bleu si blême
Seul ce voile de rêve
M’apaise et me rassure
J’aime au plus profond de moi cette douce rupture
Par quoi le jour finit
Par quoi l’aube pâlit
Cet univers second de luxe et de luxure
Enfin j’aime la nuit immense et souveraine
J’aime cette nuit même
Sachant que tu la hantes et sachant que je t’aime
« Amours »
1994
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