Plume de soie Inscrit le: 1/5/2015 De: Paris 12 Envois: 63 |
Les Murmures de Lampedusa -Kalilou la sauterelle !!! Kalilou la sauterelle !! s’écrient mes copains à mon passage sur la place du village. Ils sont réunis dès le petit matin et jouent aux osselets. Moi, je me rends à la rivière, excité à l’idée de découvrir de nouveaux insectes et papillons. Je presse le pas, je cours presque, soulevant un nuage de poussière rouge. La terre par ici est rouge d’avoir trop rougi au soleil. J’ai 8 ans, j’habite dans un petit village avec ma mère et ma grand-mère. Ma mère rouspète à chacun de mes retours d’escapades matinales quand elle voit les petites boites abritant mes insectes : -Tu ferais mieux de lire et d’étudier les livres que ta sœur t’a envoyés !!! me lance-t-elle souvent. Heureusement, ma grand-mère est toujours là pour prendre ma défense : -Mais laisse donc ce garçon, il est en vacances.
J’adore ma grand-mère, elle a le visage aussi ridé que celui d’un nouveau-né, d’ailleurs je crois qu’elle n’a jamais été vieille. C’est la seule qui me comprend. Elle est extraordinaire, elle connaît tous les insectes que j’attrape et me raconte leur histoire.
C’est vrai que je devrais un peu plus étudier. J’aime l’école, j’aime encore davantage les leçons que me donne la nature. Maman est un peu énervée en ce moment à cause des préparatifs. Elle a le même regard voilé qu’elle avait lorsque Binta est partie. Puis, un soir en rentrant de l’école, elle m’a accueilli avec des cris de joies. Ma sœur Binta allait bien et avait trouvé du travail, là -bas en Europe, je ne sais plus dans quel village. À chaque fois que nous recevions une lettre, c’étaient les mêmes instants de joie, ma mère et ma grand-mère chantaient et s’embrassaient. J’étais fier de ma sœur car tous mes copains me l’enviaient :
-Tu as de la chance, bientôt tu iras la rejoindre, me disaient-ils. Mais jamais je n’avais imaginé que cela pouvait arriver un jour. Le moment est arrivé, Maman et moi allons rejoindre Binta. Elle nous attend, elle a tout préparé, dit-elle dans sa lettre. Moi, je ne sais pas vraiment ce que je ressens, je suis juste très triste de quitter ma grand-mère. Je me réfugie dans ses bras : -Ne t’inquiète pas mon Lilou, c’est un heureux jour. C’est ainsi que va la vie. Mon fils, ton père est parti, puis ma petite fille Binta et aujourd’hui c’est ton tour, je prierai pour vous, ditelle en me berçant doucement. Nous avons embarqué très tôt, personne ne parlait. Il y avait d’autres enfants de mon âge mais chacun de nous évitait les regards. Maman me tient la main si fort que cela commence à me faire mal. J’ai envie de pleurer car je sens qu’elle a peur elle aussi. -Dors, me souffle-t-elle. Mais j’ai mal au ventre, je vais vomir, je vomis..
*** Après, ce qui s’est passé, je veux l’oublier : les pleurs des enfants, les cris des mamans, les policiers qui nous emmènent, puis des portes, des portes partout, un mur haut, si haut que je ne vois plus le ciel. Et le silence…. Cela fait déjà quatre jours que nous sommes enfermés ici. Nous attendons. Nous sommes rassemblés dans un dortoir avec des lits superposés. Dans un coin, il y a quelques jouets et des livres, en attendant. C’est Mme Bellini qui s’occupe des enfants, elle est gentille et sourit en nous parlant. Demain, je lui demanderai une feuille de papier et j’écrirai une lettre à ma sœur. Tout va s’arranger, elle viendra nous chercher. Oui, demain, je remettrai une lettre à Mme Bellini qui la lui transmettra… Il ne faut plus que maman ait peur car tout va s’arranger.
*** « Ma sœur bien aimée, Je me suis perdu en chemin, je suis derrière les murs de Lampedusa. J’aurais pu gravir la plus haute montagne pour te retrouver. La mer immense m’a permis de venir jusqu’à toi et chaque jour le ciel magnifique a guidé mes pas. La nature n’a jamais créé d’obstacle infranchissable, alors pourquoi les hommes érigent-ils des murs sur la Terre ? Je t’en prie, viens nous chercher Peut-être construisent-ils des murs car ils ont des choses à cacher ? Moi, je ne veux pas être prisonnier, je n’ai rien volé, je ne possède que ma liberté… Dis, Binta, ils ont peut-être si peur qu’ils veulent se protéger. Mais de qui ? De quoi ? Le soleil généreux déploie ses rayons sur toute notre Terre, la lune protectrice berce nos nuits sans distinction et les étoiles brillent de tous les éclats sur chaque vie, alors il faut leur dire qu’il n’y a pas de danger. Je ne comprends pas...Tu m’avais dit qu’ici tout serait plus facile que nous serions heureux enfin ensemble, alors pourquoi me séparent-ils de toi ? Viens vite, Binta. Et tant pis pour la neige, je la rêverai dans les livres que tu m’envoies. C’est bien aussi les livres, cela permet de voyager le cœur léger. Ne m’en veux pas Binta, je veux rentrer. J’ai peur, Binta, je ne trouve plus mon chemin… Maman est dans un autre bâtiment derrière un autre mur, on me dit qu’elle va bien.
Ton petit frère, Kalilou ».
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