MARCHE PROVENCAL
Sous le soleil et les platanes, le marché était animé. Les couleurs de la Provence se multipliaient sur les étals. Bleu pervenche, jaune ocre, jaune orangé, vert olive, pourpre. Ce pourpre que j’associe à Bécaud, à sa voix chaude, vivante, chantant les marchés de Provence ! Là , des primeurs, des piments. Ici, des robes multicolores, des colliers, des dentelles. J’avançais, presque poussée par la foule estivale. Soudain, je fus immobile : des plumiers en bois, pareils à ceux de mon enfance, avaient été repeints par un artiste du coin. Ils étaient devenus bleus ou vieux rose, décorés de fleurs toutes simples. De ces fleurs que les enfants dessinent mille et mille fois. Je me souvins comment on les ouvrait. J’en pris un, en tirai la planchette colorée, en fis pivoter l’étage. Il était garni de taches d’encre… Peut-être avait-il été mien, autrefois ? Qui donc l’avait oublié dans un grenier pour qu’il se retrouve aux Puces?…
Je sus gré à l’artiste de l’avoir tiré de l’oubli. L’artiste, d’ailleurs, avait retrouvé d’autres objets anciens : la boîte à sel de grand-mère, celle en bois blanc que l’on pendait au mur dans les cuisines, et un vieux coffre aux trésors ! L’envie d’étendre aussi la couleur sur le vieux bois, comme les mots sur la feuille, me prit alors… Je quittai l’échoppe à regret…
L’accent des gens du midi est aussi coloré que leurs marchés. Et je jouissais de les entendre se gausser l’un de l’autre avec cet humour tout méridional. Leur bonne humeur, leur franc-parler ou leur colère, éclataient comme leur soleil. La lavande flottait dans l’air. A l’ombre des platanes, tout-à -coup, je vis une contrebasse, un violon, une flûte. Une jeune fille en robe longue faisait la quête.
Et un air, puis deux, puis trois, se suivirent. Mozart emplissait l’espace. Le visage ravi d’un bébé entendant la Flûte Enchantée me revint à l’esprit. Le sourire était sur les lèvres, la musique, dans nos corps. Je vibrais. Encore une fois, j’eus cette sensation étrange de devenir ce qui m’entourait. Et je devins couleur, soleil, vague, allegretto. J’imaginai toute la place dansant, voltigeant aux sons de la Petite Musique de Nuit. Il me sembla que toute la joie de la Terre se répandait ici, telle un fruit mûr, que l’été était ce fruit tant attendu, que les gens étaient là pour le cueillir.
Ici, le marché était une Fête qui, s’offrait à tout venant.
Quand je m’éloignai, un charme m’habitait.
Anne DE MAY
1979
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