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     TAMGOUST, FACE A L'ETERNEL
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Expéditeur Conversation
getule50
Envoyé le :  19/5/2013 21:30
Plume de soie
Inscrit le: 18/5/2013
De: Oran, Algérie
Envois: 72
TAMGOUST, FACE A L'ETERNEL

Tamgoust, face à l’Éternel

« Il n’est pas de spectacle plus désespérant que cette misère au milieu du plus beau pays du monde » Albert CAMUS

« Si tu vas à Tamgoust, n’oublie pas de faire un tour du côté du petit cimetière du hameau, sur l’autre versant de la colline. Tu le reconnaîtras aisément : il est sur le versant sud. Les morts profitent ainsi éternellement du beau soleil de mon pays. Ce soleil qui, vivants, ne brillait pas pour eux. C’est un cimetière de pauvres. Une centaine de minuscules tertres avec deux pierres tombales. Parfois, sur une de ces pierres, une main malhabile avait écrit un nom et deux dates. Seules huit sépultures, alignées l’une à côté de l’autre, sont construites en dur avec de jolies plaques de marbre et des inscriptions finement gravées. Aux frais du gouvernement. Elles abritent les huit victimes de l’épidémie de peste qui a endeuillé Tamgoust, ces derniers jours…
« Il paraît que mon douar est devenu célèbre à cause de cette épidémie. Ou peut-être grâce à elle. Tout le monde en parlait à la radio. Tamgoust revenait à chaque bulletin d’informations. Des émissions lui ont été consacrées et les gens n’arrêtaient pas de demander : la peste au début du troisième millénaire ?
« Et alors ? La peste ou une autre maladie, quelle différence cela faisait-il ? Pour nous, gens de Tamgoust, qui mourrions auparavant de toutes sortes de choses, et parfois même de rien, on ne comprenait pas cet intérêt soudain pour notre village. Tout le monde se préoccupait des morts. Des ministres se sont déplacés de la capitale, nous a-t-on dit, même en cette période de canicule. D’autres gens, plus importants encore que les ministres, d’après ceux qui parlaient dans mon petit transistor, sont même venus de plus loin. Des spécialistes, des docteurs étrangers, des responsables de l’OMS -ne me demandez pas ce que cela signifie, je ne saurai vous répondre-, ont fait le déplacement, paraît-il. Je l’ai entendu à la radio. Mais moi, je n’ai vu personne. Ni d’ailleurs aucun habitant de mon village. Sans doute sont-ils venus pendant que l’on dormait, la nuit. Le directeur de l’hôpital de la grande ville d’à côté fut limogé. Peut-être lui reprochait-on d’avoir laissé venir cette maladie. La bonne blague, les maladies c’est l’œuvre du bon Dieu, le Directeur de l’hôpital, avec tous ses pouvoirs, n’a rien à y voir ! Son hôpital, ses docteurs et ses infirmiers sont là pour soigner les malades et non pour empêcher les gens de tomber malades… La personne qui parlait à la radio n’a pas donné d’explication.
« Bref, tout le monde s’intéressait aux morts de Tamgoust. Le nombre de victimes, seul, préoccupait ces messieurs qui parlaient à la radio. Mais personne n’a dit un mot des gens qui continuaient d’y vivre. Les journalistes n’ont pas osé s’approcher de mon douar. Par contre ils en ont beaucoup parlé à la radio. Quelques uns ont rappelé que cette maladie, qui se propage comme un feu de broussailles et qui avait fait des ravages autrefois, était surtout due au manque de propreté…
« Alors les autorités locales ont mis mon village en quarantaine. Et pendant des semaines, plus personne ne nous rendit visite. Remarquez que cela ne nous dérangeait nullement. Tamgoust ne recevait pas tellement de visiteurs avant cette épidémie. Surtout pas en été. On devait être sûrement en quarantaine depuis bien longtemps et on ne le savait pas. On l’ignorait, c’est tout. C’est qu’il est, aussi, très difficile de nous rendre visite. Il n’y a pas de route qui mène à notre petit village. Juste deux ou trois kilomètres d’une piste étroite, bourbeuse ou poussiéreuse selon les saisons. Avec, ici et là, de minuscules morceaux bitumés, témoins d’une autre époque. Et d’ailleurs, aucune plaque ne signale notre village…
« Avant la quarantaine, nous, on en sortait le matin et on y revenait tard le soir. Les enfants en sortaient pour aller à l’école du village voisin, à cinq kilomètres de Tamgoust. Ils y rentraient les premiers, fatigués, et se couchaient presque aussitôt. Nos enfants ne jouaient pas dans leur douar, ils jouaient sur l’unique chemin qui y mène…
« Plus tôt le matin, bien avant que le jour ne se levât, perchés sur de vieux vélos grinçant à chaque coup de pédale, une poignée d’hommes se rendait aux usines qui avaient poussé ces dernières années le long de la route nationale et qu’on distingue du haut de notre colline. Surtout des usines de conditionnement de boisson gazeuse qu’on vend dans de grandes bouteilles en plastique, des bouteilles de deux litres. De longues constructions aux toits métalliques réfléchissant la lumière du soleil et nées avec l’arrivée de la démocratie dans notre pays. Ceux qui partaient, le matin, rencontraient quelques autres qui rentraient, hébétés : c’étaient des veilleurs ou des ouvriers des équipes de nuit. Nos femmes restaient au village. Elles en sortaient, en petits groupes, une fois tous les deux lundis, peu avant midi, pour aller au hammam du village voisin. Le village où il y a l’école. Les enfants de l’école, qui n’avaient pas classe les lundis après-midi, les y rejoignaient pour prendre leur bain bimensuel. Elles rentraient au village, en fin de journée, leurs paquets de linge sale sur le dos, les enfants s’amusant autour d’elles…
« A Tamgoust, il n’y a pas de hammam et il n’y a pas d’école. Il n’y a pas d’électricité non plus. Et surtout, les gens n’y travaillent plus parce qu’il n’y a plus d’eau. Ni stagnante, ni courante. Les grandes usines de boissons gazeuses en avaient besoin. Elles pompaient l’eau de la région sans s’arrêter. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Alors les sources ont tari, l’une après l’autre. Les terres, desséchées, ont été abandonnées aux ronces et les arbres n’ont plus donné que quelques fruits rabougris. Il y a bien un camion-citerne qui nous rend visite chaque samedi et qui nous vient du village voisin. Sur ordre du maire. Mais comme la commune n’avait qu’un seul chauffeur, le camion-citerne sautait fréquemment un samedi ou deux lorsque celui-ci était malade ou absent. Alors, les femmes le guettaient toute la journée et quand il ne venait pas, elles rentraient leurs seaux, leurs bidons, leurs cruches, leurs marmites, leurs bassines, leurs bouteilles en plastique et leurs mines défaites. Et une immense question habitait leurs cerveaux : comment faire jusqu’au samedi prochain ? Mais quand le camion–citerne venait, c’était un défilé joyeux, un gai carrousel de toutes sortes de récipients. Un tintamarre d’éclats de voix, de bruits et d’éclaboussures. Ces après-midi-là, les femmes accueillaient leurs enfants avec des visages radieux. Et ceux-ci savaient que l’eau était venue pendant qu’ils étaient à l’école. Et à leur tour, ils accueillaient leurs pères qui rentraient de l’usine en criant : « l’eau est venue ! l’eau est venue ! ».
« Chaque samedi, quand le camion-citerne nous rendait visite, était comme une fête à Tamgoust.
« Mais il ne faut pas croire que mon douar a toujours été comme ça. Naguère, il y a une dizaine d’années, juste avant l’arrivée des usines de boissons gazeuses, Tamgoust, comme tous les douars de mon pays, était beau. Si beau. Tellement beau que tous ceux qui l’ont visité un jour en prenaient un morceau qu’ils gardaient dans leur cœur. Son ciel était bleu même quand il pleuvait. Sa terre était bonne et donnait les plus beaux fruits et le pain le plus appétissant. Ses maisons basses aux toits de tuiles et aux murs de pierres non crépis disparaissaient sous le feuillage des arbres plantés dans de petites courettes. Tamgoust faisait comme une tache d’un vert sombre au milieu des champs de blé. On n’avait pas de robinets ni de fontaines, mais l’eau chantait dans les sources aux creux des frondaisons. Et ses gens étaient plus généreux que la terre qui les portait et le ciel qui les abritait. Quelques olives ou quelques figues ou une grappe de gros grains de raisin juteux et une galette de pain, un pain pétri de leurs mains, et ils étaient heureux. Ils ne demandaient rien de plus à la vie. Tous les livres d’histoire, qui citent mon pays, vous le diront…
« Et puis vint la peste et il nous fut interdit de quitter Tamgoust. Et cet interdit est venu s’ajouter aux autres interdits. Une frustration de plus ! Et on ne pouvait plus quitter Tamgoust facilement…
« Mais moi, minuscule comme je suis, j’ai trouvé le moyen de leur fausser compagnie. J’ai faussé compagnie à leur interdit. Et à tous leurs interdits. Et oui, j’ai pu m’échapper de mon village sans que personne ne puisse faire quelque chose. Et quelqu’un aurait-il tenté de m’en empêcher qu’il n’aurait pas pu. Et j’ai quitté Tamgoust, et ses gens, et leur vie de misère. Plus personne ne pourra m’y ramener.
« Je te dirai comment j’ai quitté mon village tout à l’heure. Sois patient…
« J’ai aujourd’hui vingt ans et je m’appelle … et puis à quoi bon te donner mon nom, cela ne te sera d’aucune utilité ? Sache qu’on me surnomme le boiteux. Enfant, je suis tombé d’un arbre. Et depuis, mal soigné, je boite. Mon père avait jugé à l’époque que les soins coûtaient beaucoup de temps et il avait besoin de tout son temps pour nourrir sa famille. Depuis les gens ont oublié mon nom. Je suis devenu le boiteux. Et un boiteux, ça ne peut aller loin. J’étais condamné à rester à Tamgoust. J’ai même arrêté d’aller à l’école. J’ai pleuré. Je sortais le matin et je regardais mes camarades disparaître au premier détour du chemin. Ensuite je retournais à la maison. Parfois j’allais voir l’arbre d’où je suis tombé. Et je rêvais de l’abattre. Ou d’y mettre le feu.
« Plus tard, devenu grand, je suis allé avec les hommes jusqu’aux usines, là-bas, alignées le long de la route nationale et j’ai demandé du travail. Dans chaque usine, on me demandait ce que je savais faire puis on me toisait et on me disait qu’il n’y avait pas de travail pour moi.
« Cet été, juste avant l’arrivée de la peste, j’ai poussé plus loin. J’ai pris le car et je suis allé à la grande ville voisine. On m’avait dit qu’il y avait du travail pour tout le monde. J’y suis allé, j’y suis resté une dizaine de jours. J’ai fait tous les chantiers, tous les ateliers. Rien. Toujours la même réponse. Pas de travail pour moi. Je suis allé au port. Rien. Là, j’ai vu des bateaux qui partaient vers les pays lointains. Certains, tout blancs, partaient avec plein de gens dont quelques uns, des jeunes et même des moins jeunes, disaient qu’ils partaient chercher du travail au-delà de la mer. Alors j’ai compris et je suis revenu à Tamgoust.
« Et depuis mon retour de la grande ville, chaque matin je sortais de la maison bien avant que mon père ne se levât. Je voulais lui cacher mon inutilité. Ma mère me donnait un morceau de pain que je glissais rapidement dans ma poche et je sortais. Je prenais avec moi un petit transistor pour me tenir compagnie pendant mon errance. Je restais toute la journée à traîner dans les champs et quand, vers midi, le soleil devenait torride, j’allais m’allonger à l’ombre de l’arbre qui m’a donné cette patte folle. Et je restais à divaguer et à écouter la radio. Je rentrais tard le soir et allais me coucher en silence.
« Et voilà que la peste arrive et que le village est mis en quarantaine. Et qu’on nous interdit de quitter Tamgoust. Qu’on nous enterre vivants. Alors, j’ai réfléchi au moyen de quitter Tamgoust, malgré la quarantaine. Et j’ai trouvé.
« Comme on ne peut retenir un mort, je me suis pendu à mon arbre et j’ai rejoint l’éternité du cimetière de mon village.
« Si tu vas à Tamgoust, n’oublie pas le cimetière. Tu sais où il se trouve.
« Ma tombe est dans le prolongement de celles des victimes de la peste. C’est la dernière. Tu la reconnaîtras, tu ne peux pas la rater. Elle forme comme une fausse note à côté de ces si jolis tombeaux commandités par le gouvernement. »


douar = mot algérien petit village, bourgade, voire hameau.

PS : au début de ce siècle, la peste s'est déclarée dans un petit village algérien à une trentaine de kilomètres au sud de la ville d'Oran. Cet événement m'a inspiré cette nouvelle que j'ai insérée dans un recueil intitulé ''Si mon pays m'était conté'' paru aux éditions "L'Harmattan" en décembre 2007.



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