Ainsi va la vie dont voici l'avis...
Que faire en ces tristes journées
Où je suis coi tout près de l’âtre
Quand le poids lourd de mes années
Affaisse encor de mon théâtre
Les joyeux pans qui sont en fuite.
Heureux pourtant que dans ma suite
Une tribu fasse du bruit
Pour indiquer au voisinage
Que le passé eut ce doux fruit
Qui aujourd’hui fait entourage.
Le temps s’écoule et fait couler
Tant de ruisseaux dans les rivières
Sans retenir ni chambouler
Leur cours chéri par nos grands pères
Qui savaient tant leurs biens léguer.
Mais, en ce jour, sans déléguer
C’est moi qui suis dans ce beau rôle
D’au soir conter mes vieux écarts
Quand mes petits me veulent drôle
A détailler tous mes rencards.
La guerre aussi je l’ai connue
A l’étranger dans ma jeunesse ;
J’avais la peur fort continue
D’être soudain tout mis en pièce
Quand la grenade atterrissait.
Et tout le lieu qui pâtissait
De cette haine en bras d’honneur
Vivait d’espoir et de courage
Laissant, au soir, toute l’horreur
Nous démontrer ce qu’est la rage.
C’était jadis ; c’est le passé,
Et c’est le coin qui me vit naître.
Rien ne s’efface au front plissé
Qui sait si bien tout reconnaître
Dans ce vieux film mis au placard.
Ici, la nuit, au boulevard
Rien n’est plus beau que cette foule
Qui va et vient puis chante encor
Ce que l’État qui se défoule
Ne lui prend pas pour son décor.
Ainsi va la vie dont c’était l’avis.