Plume de satin Inscrit le: 13/3/2008 De: Envois: 14 |
Trois vieux sur un banc Trois vieux sur un banc discutent de tout et de rien, ils s'agressent les tympans à coups de "quoi?!", à coups de "hein?". Ils s'disent que c'était mieux avant, que du coup maint'nant c'est moins bien. Il faut dire qu'à 20 ans, on est moins vieux qu'à 80. Un vieux chêne les protège d'une lumière bien trop vivante. Par tous les temps, qu'il pleuve, qu'il neige, qu'il y ait du soleil ou qu'il vente, vous assisterez à cette scène, du lundi jusqu'au dimanche, ces trois vieux près du vieux chêne faisant presque partie des branches.
Ils voient la vie les dépasser, les abandonner sans soin, leurs yeux de plus en plus plissés, ils la voient de plus en plus loin, cette vie qui n'fait que s'éloigner, et ils n'parlent même plus de la leur, les montres qu'ils ont au poignet, depuis longtemps ne donnent plus l'heure. Ce n'est plus qu'un compte à rebours mais tout cela les laisse de marbre car tant qu'ils pourront tous les jours retrouver leur banc et leur arbre, tant qu'ils seront tous les trois contre le reste du monde, ils ne sentiront pas le poids des minutes, des secondes...
Deux vieux sur un banc auraient aimé que le troisième reste avec eux plus longtemps mais un air de requiem a troublé le chant mélodieux du vent dans les feuilles du chêne. Les vieux ne se disent pas "adieu", mais simplement "à la prochaine". Ils se reverront, c'est certain, d’ici peu mais en attendant, quand ils s'assoient le matin près du chêne, sur leur banc, ils sont forcés de constater qu'une place est tristement vide, quand elle ne se fait pas squatter par un promeneur avide
d'un peu d'ombre ou de repos, promeneur qui se fait recevoir avec à -plomb et à -propos par nos deux endeuillés vieillards. Pas question pour qui que ce soit de poser ses fesses au rabais là même où leur ami s'assoit, ils n'emploieront pas l'imparfait. Et si la mort de leur compagnon ne les laisse pas vraiment de marbre, tant que tous les jours ils pourront retrouver leur banc et leur arbre, tant qu'ils seront encore deux contre le reste du monde, ils ne sentiront que très peu le poids des minutes, des secondes...
Un vieux sur un banc discute avec un vieux chêne, c'est plutôt étrange et pourtant, croyez-moi, ils se comprennent. Depuis le départ de ses potes, le vieux reste là nuit et jour. Il ne mange plus rien, il grelote, attendant impatiemment son tour. Il se laisse mourir à p'tit feu à défaut d’un grand incendie, les gens le prennent soit pour un fou, soit pour une sorte de Gandhi, mais il se fout de la paix dans le monde, il veut juste lester le poids plume des minutes, des secondes, avec des parpaings, des enclumes.
Quant à sa dernière volonté, il ne la dira qu'à son chêne, le seul à même de respecter sa parole mérovingienne. Il voudrait juste que ce banc soit reconnu dans le quartier comme le plus beau des monuments à la gloire de l’amitié. Ne me demandez pas comment le chêne exaucera son voeu. Le vieux, après ce testament, se sentit planer dans les cieux. Il vit ses propres funérailles, son âme de plus en plus vagabonde. Vivement le temps des retrouvailles dans une minute, dans une seconde…
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