La zone irradiée
A trente kilomètres autour de la centrale, on est exposé à d’intenses radiations. Des barrières ferment tous les accès de la zone interdite. Depuis plus de vingt ans, la région ne compte plus d’habitant. Sur des routes aujourd’hui désertes, des panneaux rouillés signalent un danger de mort.
Toute existence humaine a disparu. Il en sera de même dans dix ans, dans cinquante ans, dans cent ans et bien longtemps après. Cette région est vouée à l’oubli. La radioactivité empêche tout retour à la vie normale.
Aujourd’hui, des visiteurs, en combinaison de protection, traversent en véhicule la zone irradiée pour y faire des observations. La radioactivité sature l’atmosphère. Elle imprègne le ciel et la terre. Les nuages en sont surchargés. Elle infecte les arbres, les plantes, les animaux. Les pluies et les vents la font retomber sur les sols.
Des arbres sont tordus. Des branches sont dépourvues de feuilles. Les lichens sont contaminés. Les animaux prolifèrent néanmoins dans un univers où l’homme ne va plus les chasser. Personne ne ramasse les pommes et les champignons radioactifs. Des oiseaux ont muté. Ce sont des albinos. L’homme n’a plus de contact avec les plantes, les fleurs, les animaux. Il est interdit de toucher quoi que ce soit dans la zone irradiée.
Une ville fantôme apparaît. Qui se souvient de ce qui s’est passé ? La cité urbaine a été vidée de tous ses habitants. Après l’explosion du réacteur, tous les citadins n’ont pas été alertés immédiatement. Ils ont encore vécu une journée comme les autres…la dernière.
Trente heures après la catastrophe, la radio locale les a alertés de l’immense danger qu’il y avait à rester dans la ville. Deux explosions au niveau de la centrale nucléaire avaient déjà répandu dans l’atmosphère des milliards de particules radioactives. La fusion du cœur du réacteur relâchait de la radioactivité dans tout l’environnement. On a donné deux heures à tous les habitants pour réunir le minimum d’affaires et s’en aller. Les autorités leur ont parlé d’un retour possible dans les trois jours.
L’armée et surtout les « liquidateurs», déjà à l’œuvre au niveau de la centrale, ont été envoyés pour essayer de nettoyer les rues et les bâtiments. Ils se sont acharnés à éliminer les chiens et les chats dont les poils étaient couverts de poussière radioactive. Ils ont tout laissé sur place car tout était déjà contaminé, même des chars qu’ils ont abandonné.
Aujourd’hui, des squelettes d’immeubles défilent à travers les vitres du véhicule. Les bâtiments sont déserts et envahis par les arbres. Ce sont des rayonnages en béton, vides, sales, ouverts à tous les vents. Sur les avenues, les dalles disloquées sont couvertes par la végétation. Des centaines de lampadaires sont éteints à jamais. Tous les panneaux d’indication, les feux de circulation sont tordus et couverts de rouille.
Des arbres ont poussé sur les trottoirs, les rues, les places. Les herbes, les buissons envahissent les balcons, les terrasses, les toits des immeubles. Le vent, la pluie, le froid s’engouffrent à l’intérieur des cages vides des appartements. Les meubles y pourrissent lentement. Sur les murs, les peintures ont coulé et sont couvertes de moisissure. Les papiers s’effilochent et s’envolent par petits bouts. Ces confettis radioactifs volent, s’accrochent aux branches des arbres, traînent dans les rues.
Au centre, on découvre un immense terrain vague, jonché de panneaux gondolés, de bancs délabrés, couverts de mousses, de carrosseries de voitures rouillées, d’autobus et de camions figés sur place. Les herbes folles les envahissent. A la gare, des wagons inutiles sont couverts par la végétation. Une foire foraine est perdue dans la forêt. Elle n’a jamais fonctionné. Elle devait être inaugurée quelques jours après l’explosion du réacteur. La grande roue, immobile, a gardé toutes ses nacelles rouillées. Les manèges qui l’entourent sont restés sur place et pourrissent au fil des années.
La ville n’est plus qu’un amas de déchets contaminés. Ils sont irrécupérables. Un enchevêtrement de tubes en fer, de vitres de verre, de branches d’arbres, de buissons sauvages, de murs en béton, de tuyaux en plastique a métamorphosé la cité en jungle radioactive. La radioactivité n’a pas détruit la nature. Elle n’a pas fait disparaître la ville. Elle ne les a pas fusionnés. Elle a créé un nouvel environnement, un ghetto monstrueux que l’homme a quitté et où il ne pourra plus vivre. C’est un trou dans le manteau qui couvre la surface de la terre.
Les hommes qui vécurent ici n’iront plus nulle part car ils sont, pour beaucoup, déjà morts, à cause des brûlures et des irradiations. Ils ont développé des cancers de la thyroïde, des leucémies, sont devenus gravement handicapés. Certains de leurs enfants souffrent et souffriront de tous les maux : malformations des jambes, de la tête, hydrocéphalies, excroissances monstrueuses au niveau du crâne ou du dos, déformations faciales, atrophies des bras et des jambes, déséquilibres du corps, graves retards mentaux.
Il ne faut plus un seul trou dans le manteau. Il ne supporterait pas plusieurs trous comme celui là . Ce serait inutile de le raccommoder, il serait troué de toutes parts. Le malheur, c’est que nous n’avons que ce manteau. Nous ne pouvons pas le remplacer. Si l’on mesure les conséquences terrifiantes passées, présentes et avenir de l’explosion de ce réacteur, une terrible angoissante nous saisit quand on pense au renouvellement possible de cet accident dans les nombreuses centrales nucléaires installées ou en projet d’installation dans les divers pays de notre planète.
Prenons pleine conscience de ce qui s’est passé. Soyons avisés des dangers qui nous menacent.
Hervé GOSSE
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