Je ne veux pas m’endormir (7)…à suivre
Le soleil avait terminé sa visite, s’en était allé laissant présager l’extinction de ses feux, la pénombre puis la nuit. Elle vint rapidement et il ferma ses persiennes. C’était devenu un rituel dont il s’accommodait : de fait, il s’enfermait, s’isolait davantage. Se cachait-il ? Si oui, pourquoi ?
Quand il y réfléchissait, il se sentait stupide avant d’argumenter autrement dans le sens qui le rassurerait. Souvent l’esprit s’empêtrait dans les contradictions et se perdait dans une somnolence apaisante ; dés qu’il recouvrait une conscience totale, il refusait le débat comme si rien ne se discutait plus depuis qu’il avait pris cette décision de ne plus dormir. Alors il pianota sur le clavier, les mots vinrent spontanément comme une évidence : rien ne pouvait arrêter le temps universel, mais aussi le sien propre.
J’irai à ma rencontre.
J’irai à ma rencontre
Marchant au pas cadencé
Au cadran de ma montre
Les secondes sont comptées.
En allant vers des ombres
Toujours promptes à s’effacer,
J’entrevois dans le nombre,
Des pans de vie effondrés.
L’astre renie l’automne
Et son idée mordorée
Pourtant le glas nous sonne
La première feuille tombée.
J’irai à ma rencontre
Si vient le temps qui trahit :
L’envie voulant se fondre
En quelques espoirs transis.
Je saurai reconnaître,
A son aiguille brisée,
Trop d’usure à renaître
Sur un fond d’’éternité.
J’irai à ma rencontre
Marchant au pas cadencé
Je crains, que puis-je contre ?
Bientôt, je serai effacé.
.
Ce poème était sorti tel le flot d’une source gagnant le lit tranquille des certitudes. Pourtant il se sentait épuisé comme s’il fut resté en apnée trop longtemps.
Il ouvrit le fichier « musique » et choisit une mélodie relaxante. Il eût aimé ne pas avoir à lutter si ce n’était contre le sommeil.
Des images lui parvinrent dans un désordre qu’il avait de la peine à contrer. Son esprit souffrirait en tout premier lieu de sa résistance au sommeil : il n’était déjà plus capable d’organiser ses pensées, manquait de vigilance. Aujourd’hui, il n’aurait pu conduire sans représenter un danger véritable pour autrui. Monique pourvoirait en cas d’absolu nécessité bien qu’il répugnât à la solliciter. Dans l’immédiat, il n’entrevoyait pas d’urgence.
C’était l’heure du dîner. Pas faim. Et puis, ainsi, la faim viendra, le maintiendra dans son état de veille. Il s’accorda deux tasses de café bien serré et retourna à son poste face à l’écran. Un de ses contacts tentait de le joindre. Pas envie de répondre. Pourquoi n’avait-il pas encore supprimé l’ensemble de ces contacts. Je ne suis déjà plus qu’une voix sans écho dans son propre désert : au fond les hommes se rencontrent mais, finalement, restent seuls, pensa –t-il.
Soudain son portable vibra, c’était Monique.
Pierre WATTEBLED
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