Quand il déroule son papier toilette, c'est pour y écrire des informations secrètes et y révéler des détails de sa vie privée. Quand il ouvre son parapluie, c'est pour dire comme tout le monde que tout est beau et que tout est bien. Quand il ferme son parapluie, c'est pour recevoir une pluie d'insultes et pour y répondre avec violence.
Quand il tire le rideau, le soir, chez lui, devant sa fenêtre, c'est qu'il a tout dit ou qu'il croit avoir tout dit. Il a déjà couché ses idées sur le papier.
Quand il pose son verre sur le dos d'un ami, c'est qu'il lui sert de table basse et d'ami, mais pas de repose pieds. Un ami ne peut servir de repose pieds. Il traite mal les autres, c'est vrai, il leur fouette le dos en annonçant des mesures de rigueur. Il les force à avaler des pilules.
Il s'adresse à des sourds et leur crie dans l'oreille les mots "Liberté", "égalité", "justice". Les sourds répondent "Comment?" Alors il prend son haut parleur et il hurle ces mots qui n'entrent toujours pas dans les oreilles des sourds. Alors, il pose son haut parleur et se tourne uniquement vers ceux qui veulent bien l'entendre. Pour ceux là , il est une idole. Alors, il peut tirer à bout portant sur un homme et ceux là crieront : "Comme c'est bien tiré! Comme c'est visé juste!"
Trois femmes osent-elles l'accuser ? Elles le pointent du doigt? Elles ne l'applaudissent pas? Alors il reprend son haut parleur et les traite de sorcières. Il adopte le cri du corbeau pour les dénoncer, les calomnier, il rédige des lettres anonymes pour les accuser des pires maux. il frappe à coups redoublés sur son pupitre en s'imaginant leur taper sur le dos.
Les fidèles chuchoteront ses paroles, en formant une ronde autour de lui. Gare à celui qui aura oublié un mot! Il sera chassé du cercle, collé au poteau, coiffé du bonnet d'âne.
Tous devront répéter exactement ce qu'il aura dit, même si c'est la pire des banalités. ils s'adresseront à ses chaussures, à ses chaussettes, à son pantalon, à sa ceinture, à sa chemise, à ses lunettes, à son chapeau et ils diront à chacun d'entre-eux : "Comme tu es beau chapeau, comme tu es belle chaussette, pantalon, tu es un étalon".
Les fidèles joueront à saute-moutons en bêlant des louanges à la gloire du leader. Lui leur fera gratter les murs, savonner les planches, laver les voitures. Les murs, ils devront les masser, ils devront bien le faire, les murs et les leaders, c'est chatouilleux.
Ils l'applaudiront quand il voudra tout nationaliser puis quand il voudra tout privatiser. Les commentateurs sont assis dos à dos sur deux chaises et répéteront vers la droite et vers la gauche les paroles du leader. L'un sera dans les graves, l'autre dans les aigus. Mais ce sera la même chanson.
Les adversaires, s'il y en a, seront cachés derrière le rideau et ne pourront s'exprimer qu'en coulisse. De la salle, on ne les entendra pas. En fin de discours, le leader ira les gifler et leur souhaitera une bonne soirée. Puis, il reviendra sur scène et le public fera la claque.
Les débats s'édulcoreront, porteront sur les fromages crémeux, les miels aromatisés, les caramels mous. Le leader dira son choix. Deux personnes diront la même chose, en tête à tête, écoutés par un troisième qui formera un nouveau tête à tête et il se dira encore la même chose, ils seront écoutés par un cinquième qui...
Le leader aura appris toutes les réponses aux questions. Les questions auront été listées, classées, rangées, limées, manucurées. Les réponses seront toutes présentées dans de beaux papiers d'emballage, le tout passera comme des publicités. Et l'on verra des sosies, ou des clones, faire les pas que le leader, regarder dans la même direction, lire le même journal, ouvrir le même parapluie, leur ombre viendra se superposer à celle du leader.
Les hommes et les femmes viendront en file se confesser devant un masque, une veste sur un portemanteau, un mannequin inerte, la figure du leader.
Hervé GOSSE
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