L'homme...
Paris, nous sommes le 17 décembre, un matin qui aux autres ressemble.
Je m’étais installée sur une banquette de molesquine, rouge - d’ailleurs, dans les bars, elles sont toujours rouges ou vertes…ou noires, peu d’inventivité- et j’avais commandé une noisette en précisant lait froid, pour être sûre, comme à chaque fois. Je venais là de temps en temps, faire ma cueillette d’impressions, de silhouettes, d’urgences et de petites défaites, parfois de fêtes, peut-être pour un jour, les mettre en tête à coup de lettres.
Pas loin, sur l’autre coté de la vitre, un homme était assis, indifférent aux autres et au temps, comme si aucun bruit ne pouvait l’accrocher, ni ces éclairs de voix qui s’élevaient du comptoir encombré de coudes où s’agrippaient les employés, pas pressés d’aller travailler, ni les rugissements des voitures excitées dans la rue. Il semblait tellement bien entre les feuilles du livre ouvert devant lui, qu’il en avait laissé s’éteindre la chaleur de sa tasse, posée au bord de sa table. Il n’avait même pas retiré le papier brun de la pierre de sucre blanc, peut-être qu’il ne le ferait pas, peut-être qu’il n’en prenait jamais et que le cube resterait là , après….
Il n’était pas très jeune, pas très vieux, au milieu. Il semblait être de ces gens qui n’ont jamais vraiment de temps, mais qui le prennent de temps en temps.
Son livre s’appelait Dés Demain, avec un point. Comme si après demain, il n’y avait plus rien, aucun purgatoire, aucun espoir, que restait-il à voir?. Comme si ce point scellait le destin. Avec curiosité, je l’observais, sans doute ce titre m’avait intrigué, moi qui pense qu’il y a toujours un autre jour, un bien plus joli jour…
De ma place, je remarquais qu’il ne lui restait qu’un petit centimètre d’épaisseur à lire, et je voyais ses mains qui se retenaient, comme ses yeux, d’aller trop vite pour connaître la suite. Sans doute, il avait déjà compris qu’il n’y aurait plus rien ensuite, tout juste sa fuite, et redoutait la dernière ligne, le point après Fin…
Et puis, ce fut terminé, le volume fut refermé, pas encore reposé.
Son hésitation était presque palpable, il s’empêchait d’y retourner.
Il leva son regard gris vert, il n’était pas revenu à la terre, figé au bord de notre monde, pour lui désert, si il lâchait les pages, il perdrait son héros ou son héroïne, il se sentirait ordinaire. Peu à peu, ses émotions cessèrent de se confondre, elles retrouvèrent de l’équilibre. Petit à petit, au bruit il fut sensible, fut presque prêt à reprendre le cours de sa vie…
Alors, il repoussa le recueil de feuilles, après l’avoir lissé, sa couverture comme une peau caressé délicatement, comme s’il voulait lui redonner son aspect d’avant, avant qu’il ne pénètre dedans, et qu’il s’y perde avidement….
Il tourna son café sans sucre, sans doute le trouva froid puisqu’il grimaça, ou bien était ce tout ces autres là , un peu gaulois?. Il ramassa le livre qu’il enfonça au fond de sa poche, sorti quelques pièces qu’il posa sur la table de bois, et se leva. Je crus percevoir comme un soupir au fond de son regard lorsque la porte il repoussa pour s’enfoncer dans la ruelle, retournant vers le monde conventionnel…
Avant que ne s’échappent les images de ce moment sans partage, un dérapage de solitude, unité dans la multitude, je noircis mon calepin de signes, payais et m’en allais, j’avais de quoi croquer. Dès demain, je chercherais ce Demain pour vérifier s’il valait bien cette parenthèse sans envie, quelques minutes loin de sa vie.
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Françoise Pédel Picard